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Ce que le futur du travail ne sera pas | Les Echos Start

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Vous vous souvenez du « monde d'après » ? On n'en entend plus beaucoup parler. Qu'en est-il du « travail d'après » ? Risque-t-il, lui aussi, de passer discrètement à la trappe ? Le retour en arrière n'est plus possible, entendent de nombreux salariés de retour au bureau, encore hagards après une cure de télétravail forcée, diversement appréciée. Car force est de constater qu'il existe une très grande hétérogénéité dans la façon dont la crise a été vécue par les travailleurs, qu'ils soient en première, deuxième ligne… ou cadre dans un bureau à la maison (selon qu'ils ont ou non un mobilier adapté).

Après quelques semaines de reprise en présentiel pour la plupart, certains salariés parlent déjà de déshumanisation du travail, quand d'autres louent l'autonomie conquise à la faveur des événements, et accessoirement de la technologie. La question dépasse le mode de travail, mais touche à l'aménagement des bureaux, le type de management et pose même la question du type d'entreprise qui sera privilégié. Ces bouleversements successifs donnent le tournis, au point qu'il est difficile aujourd'hui d'affirmer avec certitude ce que le monde du travail nous réserve ces prochains mois, ces prochaines années. En attendant que la réalité dessine les contours de ce « travail d'après », nous avons fait le choix de parier sur ce qu'il ne sera pas… ou plus.

Le mirage du 100 % télétravail

« Il y a six mois, je pensais que certaines entreprises allaient tenter le coup du 100 % télétravail. Aujourd'hui, je constate que c'est très minoritaire et réservé à certaines, comme une partie de la tech », analyse Benoît Serre, vice-président de l'Association nationale des DRH (ANDRH). Il voit là une modalité extrême et dévastatrice pour la motivation. Un constat partagé par Lila*, salariée d'une entreprise américaine implantée à Paris, en « full remote » depuis mars 2020 : « J'ai l'impression que la semaine ressemble à une longue journée continue de travail entrecoupée de nuits. »

Les études de l'Apec montrent que ce télétravail exacerbé s'est accompagné d'une augmentation de la charge de travail, particulièrement pour les managers et les jeunes cadres. Sans parler de ceux (et surtout de celles) qui sont obligés de travailler en horaire décalé pour rattraper le temps passé à gérer les enfants ou d'autres tâches domestiques. Toujours selon l'Apec, près de la moitié des cadres ont rencontré des difficultés à équilibrer vie professionnelle et vie personnelle lors du troisième confinement, au cours duquel le distanciel était obligatoire.

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Un point avait peut-être été sous-estimé avant la crise : le rôle social de l'entreprise. Selon une enquête YouGov pour le cabinet d'aménagement de bureaux CDB, 67 % des Français affirment que le lieu de travail représente un espace de vie privée hors de la cellule familiale. « L'entreprise, ce n'est pas que de la production, du management. C'est aussi des relations humaines et de la sociabilisation entre collègues nécessaires à l'épanouissement des salariés », martèle Benoît Serre, également DRH de L'Oréal France. Une situation particulièrement attestée chez les jeunes (74 %), « un public qui ne vit pas toujours en collectivité à la maison », rappelle Camille Dupuy, sociologue du travail à l'université de Rouen Normandie.

« Les effets du télétravail sur les salariés ne sont pas encore véritablement analysés à l'heure actuelle, rappelle pour sa part Cathel Kornig, sociologue du travail et membre associée du Laboratoire d'économie et de sociologie du travail d'Aix-Marseille Université. Ce que l'on sait, c'est qu'avec la crise sanitaire les conditions de travail se sont dégradées, tout comme l'état de santé psychique des individus. » Résultat, après des mois de télétravail (mais aussi de confinement et d'un climat anxiogène), 2 millions de salariés seraient en situation de burn-out sévère, d'après le septième baromètre, publié en mai, par le cabinet spécialisé sur les risques psychosociaux Empreinte Humaine. C'est un doublement sur un an.

Côté motivation, selon une étude Ifop pour PageGroup, plus de trois décisionnaires RH sur cinq pensent que la productivité des collaborateurs en télétravail n'a pas augmenté. Mais, preuve de la confusion de la période, d'après un sondage Kantar pour l'Observatoire du management publié en mars 2021, 74 % des salariés se déclarent « très engagés dans le projet de leur entreprise », en hausse de 7 points par rapport à 2019.

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Autre problème posé par le « full remote » : l'« onboarding » des nouveaux arrivants. Ils débarquent dans une entreprise dont ils ne connaissent pas les codes et mettent du temps à lier des relations avec leurs collègues. Même pour ceux qui connaissent l'entreprise, tout se complique à distance. « Difficile de networker ou de promouvoir quelqu'un qu'on ne voit jamais ! », soulève Alexia de Bernardy, auteure des « 130 Règles d'or pour mieux collaborer à distance ».

Vers quel modèle ?

Néanmoins, il est clair qu'une étape a été franchie et que le télétravail ne sera pas exclu du monde de demain. Les salariés, tout comme les directions demandent plutôt un mix. Ne prenons qu'un exemple qui atteste de ces évolutions : l'automobile, via les deux fleurons français que sont Renault et PSA, qui ont pérennisé le télétravail autour de deux à trois jours par semaine, là où c'était possible… Et même dans les usines, fait savoir le constructeur au losange. Pour sa part, sur son site de Poissy, PSA transforme le traditionnel open space en espaces collaboratifs propices aux interactions et à la créativité, à l'aide par exemple de tableaux interactifs. Le but est d'entretenir le lien social entre les salariés et de mettre fin au long plateau avec son enfilade de bureaux où les salariés sont seuls devant leur ordinateur, le casque vissé sur la tête.

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Le télétravail est devenu incontournable pour certaines directions, qui y voient entre autres un moyen de réduire leur empreinte immobilière. « Des entreprises réfléchissent même à la manière de reconfigurer des métiers pour les rendre enfin éligibles au télétravail », assure Benoît Serre.

Naturellement, toutes les boîtes ne sont pas - hélas - aussi avancées. « Sur le télétravail, il y a encore des entreprises où les salariés ne peuvent pas télétravailler le lundi ou le vendredi, car soupçonnés de partir en vacances… ce qui en dit long sur la méfiance », nuance Camille Dupuy.

Bye bye le présentéisme…

Le télétravail a fait voler en éclats des pratiques managériales parfois bien enkystées. Mais pour combien de temps ? Certes, la tempête a été forte. Du jour au lendemain, les managers n'avaient plus aucune visibilité (au sens premier) sur leurs troupes, obligés de croire sur parole que le tableau Excel tournait à plein. Maigre consolation : la possibilité de scruter la couleur du voyant de connexion de leurs collaborateurs. Avec le retour en présentiel, tous les scénarios sont sur la table quant à la trajectoire que prendra le management à la française.

Avec l'open space généralisé, nous avions intégré l'idée de travailler sous surveillance de notre manager (et de nos collègues). En France plus que dans d'autres pays européens, on se sentait obligé de rester tard, de ne pas partir avant son manager de peur d'être accusé de tirer au flanc. Si ce fameux présentéisme a pris de nouvelles formes à l'ère du distanciel, il a quand même pris du plomb dans l'aile. L'ANDRH anticipe une évolution double, d'une part sous l'effet des nouvelles habitudes de travail (flex office, télétravail, etc.) qui donneront une plus grande autonomie aux salariés, et d'autre part sous l'effet générationnel. « Les nouveaux managers qui ont une trentaine d'années sont plus sensibilisés à ce sujet », estime Benoît Serre.

« Ouf ! », serait-on tenté de lâcher. Alexia de Bernardy rappelle que, sept fois sur dix, un salarié démissionne à cause de son chef (et non de son entreprise), et les jeunes générations accepteront moins le présentéisme après avoir conduit leurs missions dans l'autonomie la plus totale. Pour l'auteure des « 130 Règles d'or pour mieux collaborer à distance », ce nouveau manager devra développer trois compétences clés pour les ravir : savoir garder le lien à distance (apprendre à prévoir du temps informel et des « icebreakers » en début de réunion par exemple) ; partager sans cesse le sens qu'il y a derrière tous ces mails, Zoom et autres PowerPoint ; et enfin faire face à l'incertitude, tant sur le quotidien des clients, des salariés que sur l'avenir du marché.

Trois semaines après la fin du télétravail obligatoire, où en sont les managers de ces acquis ? Sans doute encore loin. Il n'empêche que 60 % des salariés estiment que, « globalement, le management dans leur entreprise a progressé au cours de l'année écoulée », selon une récente étude de l'Observatoire du management. « Il est sûr que le présentéisme va continuer de reculer mais certainement pas en un claquement de doigts », nuance Benoît Serre. Toutefois, si cette prophétie se réalise, le seul changement des pratiques managériales ne suffira pas. La pyramide hiérarchique des entreprises devra elle aussi être repensée, voire écrasée. Si le modèle ne repose plus sur la surveillance ou la contrainte mais plutôt sur l'engagement, les managers verront leur rôle redéfini.

« Les entreprises de la grande distribution, à l'instar de Leroy Merlin, ont amorcé ce virage de l'écrasement du management, mais certaines banques ou assurances sont encore très hiérarchisées… », ajoute le vice-président de l'ANDRH, pour qui ce changement ne se fera pas sans une refonte de l'approche pyramidale des carrières : « Avec moins de hiérarchie, il faudra valoriser davantage les parcours horizontaux. »

… et la « réunionite aiguë »

Le télétravail n'étant plus la norme, les réunions se sont hybridées. D'abord dans leurs modalités de participation : certains sont désormais sur site quand d'autres sont à distance. « Cette hybridation n'est pas simple à gérer pour les managers, souligne Caroline Diard, enseignante-chercheuse en management et ressources humaines à l'EDC Paris Business School. Il faut pouvoir partager les temps de parole, ne pas laisser certains à la marge, ne pas rater des questions… C'est un vrai challenge ! »

Ces nouvelles possibilités, inenvisageables plus d'un an en arrière, réagencent également les plannings. Fini les microréunions digitales qui s'enchaînent toute la journée… Non qu'elles soient sans avantages, comme le rappelle Caroline, 28 ans, communicante et adepte du télétravail : « Les réunions en distanciel sont moins longues : on va à l'essentiel ! » Mais il y a eu aussi la « Zoom fatigue », dont on veut sortir. Car les visioconférences à répétition augmentent le stress du télétravailleur, selon une étude récente de l'université de Stanford. Quand elles n'ajoutent pas une charge de travail supplémentaire. « Il faut les préparer et faire des comptes rendus. Donc une question qui aurait pu être abordée en cinq minutes au bureau se transforme en trois heures de travail », explique Anna*, 39 ans, cadre dans un grand groupe d'assurance.

« Avant la crise, quand on avait besoin d'échanger, le réflexe, c'était d'aller voir le collègue, le manager. Le nouveau réflexe avec le distanciel, c'est d'organiser une réunion », analyse Caroline del Torchio, directrice au sein du cabinet de conseil Identité RH et coautrice de « 10 Clés pour préparer mon entreprise au travail à distance » (Eyrolles, janvier 2021). Et après ? « On prévoit une réunion collective le jour de la semaine où on est tous ensemble au bureau », explique Delphine, qui est en full remote dans sa société HCR Emploi, une plateforme de recrutement basée à Lyon.

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Pour la spécialiste du télétravail Caroline Diard, c'est « très probablement » le modèle vers lequel on se dirige : des réunions 100 % humaines sur site de temps en temps et d'autres 100 % virtuelles en télétravail. « Les salariés font en sorte d'être là le jour de la grosse réunion. C'est ce qu'il se passait avant dans les entreprises pionnières du télétravail », remarque l'enseignante-chercheuse. Un moyen d'optimiser les temps d'échange, sans tomber dans les écueils du passé : les réunions à rallonge, inutiles et soporifiques. « Avec la visio, on ne se voit plus, mais en physique, on se voit mieux ! », résume Frank Zorn, fondateur de Deskeo, un opérateur immobilier de bureaux flexibles.

Pour jongler entre les deux de manière optimale, les nouveaux outils technologiques deviennent nos meilleurs amis. Et dans le secteur, l'innovation ne s'arrête pas. Il y a d'abord les nouvelles fonctionnalités qui fleurissent (les salles de réunion insolites, la retranscription en direct, etc.) sur Teams, Zoom, Meets, Webex et autres. De nouveaux acteurs, plus avant-gardistes, misent sur la 3D, à l'instar de Room, qui promet de vous « téléporter » de votre salon au milieu de l'océan Atlantique ou dans la Salle des séances de l'Institut de France (recréée à la moulure près). Ou encore de Didimo, qui permet de modéliser, à partir d'un simple selfie, des visages humains en 3D en moins de 90 secondes. Si réalistes que c'en est presque effrayant.

La start-up La Vitre a, elle, inventé un écran intelligent sur lequel on toque pour faire apparaître un participant à distance. Il fait presque office d'hologramme : la personne est présente virtuellement mais de tout son long. Allant jusqu'à cinq écrans interconnectés en simultané, le produit a séduit des grands groupes comme Natixis, Capgemini ou encore Engie. Pendant ce temps-là, Microsoft développe un véritable service d'hologrammes, Mesh, dont le slogan significatif est « Ici peut être n'importe où ». Pour faire apparaître vos collègues ou des objets dans votre salon, il vous faudra être muni de lunettes HoloLens et de… la 6G.

Quid enfin de la piste du gaming. Nos réunions de demain seront-elles alors constellées d'avatars pimpés à notre guise ? Ou serons-nous équipés de casques de réalité virtuelle pour vivre ensemble une expérience interactive (et ce, même si on est à côté au bureau) ? Sans s'avancer, il est fort probable que toutes ces technologies ne conviendront pas à tout le monde ni à toutes les cultures d'entreprise.

La fin des recrutements ennuyeux ?

En matière de recrutement, les changements sont profonds. « Si l'on compare le recrutement il y a cinq ans à ce à quoi il ressemblera dans cinq ans, tout aura changé », pronostique Eric Gras, spécialiste du marché de l'emploi pour la plateforme Indeed France. La solution Indeed à destination des entreprises vient d'ailleurs de supprimer le CV et la lettre de motivation de son processus de recrutement. « De moins en moins de recruteurs en demandent », confirme Jérôme Blanc, manager chez Robert Half.

Les recruteurs s'intéressent de plus en plus à la personnalité et aux soft skills des candidats, c'est-à-dire aux compétences humaines, observe Laura Furioli, senior manager au sein du cabinet de recrutement Robert Half. « Sur des postes 'pénuriques', ils vont de moins en moins s'attacher au diplôme et à l'école », indique la consultante. « A l'inverse, les CV vidéo se démocratisent. Les recruteurs apprécient, car ils peuvent analyser la communication non verbale des personnes qui postulent », selon le responsable de Robert Half.

Peu de recruteurs résisteront désormais à la tentation de faire passer le ou les premiers entretiens en visio, pour finalement rencontrer - en physique - seulement les candidats de la short list. Un gain de temps pour tous. L'ANDRH constate également une diversification croissante du sourcing des candidats, notamment sur les réseaux sociaux, que ce soit sur TikTok (la SNCF, les chaînes d'agences d'intérim Proman et Synergie, Système U…), sur la plateforme de streaming Twitch (comme Manpower) ou encore, plus surprenant, sur l'application de rencontres Tinder (Proman). L'intérêt ? Pouvoir toucher des jeunes et, avec des campagnes sponsorisées, cibler de manière précise le public susceptible d'être intéressé.

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Au-delà de la méthode, c'est le message et les valeurs portés par la marque employeur qui évoluent à grand pas pour coller aux nouvelles attentes des candidats. A commencer par… le télétravail. « Les salariés ne veulent plus revenir à un modèle 100 % en présentiel. Conséquence : les recruteurs qui ne proposeront pas de télétravail se priveront de candidats », estime Benoît Serre, de l'ANDRH. « Certaines entreprises commencent à adopter ce qui se fait depuis longtemps dans la Silicon Valley. Là-bas, la surenchère salariale a aussi ses limites et pour tirer son épingle du jeu, il faut jouer sur d'autres arguments, principalement le bien-être et l'équilibre entre vie pro et vie perso, proposer quasiment une organisation sur mesure », complète Eric Gras.

Ainsi, des entreprises (encore assez rares) proposent à leurs salariés des vacances illimitées ou encore des semaines de travail de quatre jours. En France, l'entreprise Adobe a allongé le congé parental de dix semaines par rapport aux obligations légales, elle offre également des formations gratuites à la demande ou encore une journée de congés toutes les trois semaines depuis le 15 mai. Des initiatives commencent à naître un peu partout dans le monde proposant un congé menstruel pour pallier les règles douloureuses.

Le risque de surenchère pourrait conduire à oublier les fondamentaux. Car si l'on en croit la douzième édition de l'étude Randstad Employer Brand Research, parue fin mai, les priorités des Français restent le salaire, pour 65 % d'entre eux, et les perspectives de carrière (53 %). Mais pour Nicolas Brusson, cofondateur et CEO de BlaBlaCar, les leviers classiques ne seront plus suffisants à l'avenir, et il appelle à une démocratisation de l'actionnariat salarié. « Si vous voulez qu'un membre de votre équipe ait autant de détermination, d'esprit d'initiative, d'engagement que si l'entreprise lui appartenait, alors faites en sorte qu'elle lui appartienne en partie. » BlaBlaCar a d'ailleurs indiqué, mi-juin, que 100 % des employés pourront devenir actionnaires. Un moyen d'attirer plus de talents pour l'entreprise, qui prévoit 260 recrutements en 2021.

Avec la crise, l'engagement des salariés est devenu le nouveau Graal des employeurs. Si la crise du sens n'est pas née avec la pandémie, la période l'a clairement exacerbée, surtout chez les cols blancs. Et ouvert toute une réflexion sur l'utilité sociale du travail et sur sa place dans nos vies. Pour caricaturer : à quoi bon concevoir des publicités pour des produits superflus quand le monde s'effondre ? La pandémie a-t-elle sonné le glas des « bullshit jobs » ? « La crise a fait bouger les valeurs collectives et individuelles, explique Elodie Chevallier, consultante et chercheuse au CNAM. La division entre activités essentielles et non essentielles a poussé beaucoup de personnes à se poser des questions. »

L'autonomie retrouvée

En attendant que ce débat, tant philosophique qu'économique, soit tranché, de plus en plus de travailleurs ont opté pour l'indépendance ou l'entreprenariat, comme Claire*. Pour cette formatrice de 38 ans, qui a enseigné pendant dix ans au collège, quitter l'Education nationale a été un moyen de se réapproprier le temps. Si elle se dit toujours attachée aux valeurs du service public, elle reconnaît s'être sentie « déconsidérée » pendant la pandémie. « J'ai perdu le sens de mon engagement et je l'ai retrouvé grâce à mon nouveau projet », explique-t-elle. C'est donc acté : à la rentrée prochaine, elle lancera son entreprise, un cabinet de conseil pour faciliter l'inclusion des travailleurs handicapés dans les PME. « Agir positivement, être près des premiers concernés, voir l'impact et la pérennité de ce que j'entreprends », voilà comment elle espère redonner du sens à son travail.

Quand il n'est pas subi, ce choix peut être une solution pour « exercer son travail dans de bonnes conditions » sans s'infliger un open space bruyant, un manager injuste, des clients dont on ne partage pas les valeurs, indique Elodie Chevallier. Et la chercheuse de préciser : « Les mauvaises conditions de travail sont la première cause de la perte de sens. »

Alors faut-il quitter l'entreprise pour le retrouver ? Pas sûr. Dans « L'Empire du sens » (Editions Eyrolles, 2020), l'économiste Mickaël Mangot dresse une typologie d'initiatives que les dirigeants et responsables RH peuvent mettre en place pour restaurer le sentiment d'une finalité à son travail. Dans sa boîte à outils, on trouve des actions solidaires, comme les cagnottes prosociales (des primes que l'on peut reverser à des collègues en difficulté ou sur le départ, ou encore des dons de RTT, des congés solidaires, par exemple) et les dispositifs de partage de compétences entre salariés.

Cette générosité peut également s'exercer aussi en dehors de l'entreprise avec le mécénat de compétences. Ce système de mise à disposition de salariés volontaires auprès d'associations devrait continuer à se développer, selon Agathe Leblais, la directrice générale de Pro Bono Lab, qui accompagne les entreprises dans leur politique d'engagement : « On espère que cet engagement pourra in fine permettre aux entreprises de transformer leur modèle économique. » Et donc de mieux correspondre aux valeurs montantes liées aux sujets d'impact environnemental et social. « Il y a un effet de génération : l'engagement et la quête de sens vont aller en s'accroissant, c'est dans l'intérêt des entreprises d'y réfléchir », prédit-elle.

La définition du sens du travail est avant tout individuelle, insiste cependant Anaïs Georgelin, la fondatrice de somanyWays, un programme d'accompagnement pour « redonner du sens au travail ». Selon elle, les entreprises ont aussi intérêt à recruter des managers capables d'avoir « une finesse d'analyse car, à l'ère de l'individualisation, le management, c'est de la haute couture. » D'autant plus que tous les salariés en crise n'ont pas les ressources financières ou mentales pour se réorienter. « La quête de sens peut faire peur », reconnaît Claire, qui conclut : « Elle doit être un levier, pas une injonction anxiogène. »

* Les prénoms ont été changés.

Pour aller plus loin :

A écouter

Le podcast Génération Alpha, qui explore le futur du travail à l'horizon 2050.

Le podcast Les Novateurs, qui part à la rencontre de DRH et dirigeants qui ont un temps d'avance.

A lire

La newsletter Vocation, pour imaginer à quoi ressemblera le monde professionnel dans 10, 50 ou 100 ans.

La newsletter Billet du futur, rédigée par le jeune entrepreneur Samuel Durand.

A regarder

Le documentaire Work in Progress de Samuel Durand.