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Transition énergétique : le raffinage, l'arme redoutable de la Chine dans la guerre des métaux

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Transition énergétique : le raffinage, l'arme redoutable de la Chine dans la guerre des métaux
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"Les Chinois ont intégré bien avant nous cette dynamique de rareté dans l'accès aux matériaux parce qu'elle s'est pensée bien avant nous comme une grande puissance qui pouvait être en surchauffe", regrettait Emmanuel Macron, lors de la présentation de son plan France 2030. C'est en effet dans le 7e plan quinquennal (1986-1990) - le président français était encore un garçon - que le Parti communiste chinois a classé comme stratégique l'approvisionnement en métaux, en particulier les terres rares.

"La Chine n'a pas de pétrole comme le Moyen-Orient mais elle a des terres rares", ironisait à l'époque Deng Xiaoping, qui a ouvert le pays à l'économie de marché. C'était plutôt bien vu de la part du vénérable dirigeant.

"A cette époque, j'ai créé une filiale française métallurgique pour le raffinage de métaux stratégiques à Pékin. Le but des Chinois était d'abord de subvenir aux besoins de leur industrie nationale. Mais cette stratégie métallurgique d'importation de minerais, qui n'était pas belliqueuse vis-à-vis de l'Occident, fut opportuniste. Elle permit d'exporter des excédents métallurgiques, ouvrant une nouvelle source de devises pour le parti communiste chinois. Ce qui nous a permis d'importer à Paris du palladium d'origine chinoise, grâce à un contrat passé avec un industriel de la région du Yunnan. C'est à cette époque que la Chine était en train de devenir la future usine du monde puisqu'au même moment les pays développés faisaient le choix de se désindustrialiser", témoigne Didier Julienne.

Rétrospectivement, la décision du 7e plan quinquennal s'est en effet révélée payante. Elle permet à la Chine d'occuper aujourd'hui une place centrale sur l'échiquier mondial des mines et des métaux. Elle l'a acquise avec sa "Doctrine Matières Premières" qui demandait de sécuriser les approvisionnements de matières premières pour répondre aux besoins insatiables d'une croissance économique qui s'est affichée à 2 chiffres durant des décennies déclenchant un supercycle des marchés des matières premières, tout juste ralenti par la crise financière de 2008.

Diplomatie minière active

Cette stratégie a conduit le pays à une prospection qui ne s'est pas cantonnée à son seul territoire. Certes, son sous-sol contient des ressources minières non négligeables. Par exemple, la Chine est le 1er producteur mondial d'acier, d'aluminium et de lanthanides (terres rares), le 3e de cuivre, et le 3e de lithium.

Mais elle a aussi déployé une diplomatie minière active via l'exploitation de gisements locaux à l'étranger, des prises de participation et des acquisitions grâce à une dizaine de compagnies.

En 2019, neuf entreprises chinoises ont produit environ 33% de la production minière de cobalt, principalement en RDC mais aussi en Papouasie-Nouvelle-Guinée. La société chinoise Ningxia Tianyuan Manganese Industry représentait 23% de la production de manganèse, extraite principalement au Ghana et en Australie. Pour le lithium, Tanqui lithium et Ganfeng lithium sont les leaders mondiaux, car ils cumulent à eux deux environ 60% de la production mondiale.

Leader mondial du raffinage

Transition énergétique : le raffinage, l'arme redoutable de la Chine dans la guerre des métaux

Mais le plus spectaculaire se situe dans l'activité de raffinage dont elle est le leader mondial. La Chine transforme 80% de l'offre mondiale des métaux présents dans les batteries pour véhicules électriques : lithium, manganèse, nickel, graphite et cobalt. La décision du 7e plan quinquennal s'est révélée payante.

Cette position de leader s'explique aussi par la nécessité qui s'est imposée au géant asiatique d'importer les minerais des pays d'où ils étaient extraits. "La Chine ne pouvait pas raffiner localement car la plupart des pays miniers ne disposaient pas de l'électricité nécessaire. Elle a donc rapatrié les minerais sur son sol où ses affineurs bénéficiaient d'une électricité suffisante et fiable dont elle maîtrisait le prix, moins coûteux que chez les pays producteurs, grâce à ses économies d'échelle", précise, pour sa part, Didier Julienne.

L'objectif de la neutralité carbone en 2060

Avec des volumes assurés, un savoir-faire de plus en plus technique, le géant asiatique a donc pris une longueur d'avance sur tous les autres pays dans la nouvelle configuration économique imposée par la lutte contre le réchauffement climatique. Le pays s'est fixé comme objectif d'atteindre un pic de carbone d'ici 2030, et lors du sommet qui s'est tenu cette année aux Nations unies, le président Xi Jinping a fixé à 2060 l'objectif de la neutralité carbone. C'est très ambitieux pour une économie qui carbure largement à l'énergie fossile.

"La neutralité carbone ne signifie pas l'élimination totale des hydrocarbures, mais plutôt des compensations d'usage. Pékin va changer les procédés de fabrication, par exemple en utilisant l'hydrogène plutôt que le charbon dans la production d'acier, mais aussi en recyclant l'acier qui a étéutilisé il a 30 ans, lors de la première vague d'urbanisation de masse. Cet acier recyclé qui émettra moins de carbone qu'un acier primaire servira demain pour la deuxième urbanisation chinoise, plus qualitative", décrypte Didier Julienne.

Importantes pénuries d'électricité

Pour le moment, comme en Europe, la République populaire fait face à d'importantes pénuries d'électricité. Au début du mois de novembre, Pékin a annoncé avoir produit en moyenne quotidiennement en octobre 11,93 millions de tonnes, soit 10% de plus qu'en septembre. Un niveau record !

Mais la Chine ne dévie pas de son objectif. Le 14e plan quinquennal (2021-2025) prévoit d'accélérer le développement des énergies propres : éolien, photovoltaïque, hydroélectrique mais aussi nucléaire que la Chine classe, contrairement à la Commission européenne qui n'a pas encore tranché dans cette catégorie pour la faiblesse de ses émissions de GES.

"Pékin a constitué depuis des décennies des stocks stratégiques d'uranium, en provenance notamment du Kazakhstan, représentant plusieurs années de consommation. Cela confirme le fait que les autorités chinoises ont une vision à long terme du développement d'une électricité d'origine nucléaire", souligne un spécialiste de l'économie chinoise.

Dans le même temps, ce plan de décarbonation prévoit d'éliminer les capacités obsolètes dans les industries à forte consommation d'énergie telles que la sidérurgie, la pétrochimie et la chimie. Ainsi, l'Aluminium Corporation of China (Chinalco), troisième producteur d'aluminium au monde, veut réduire ses émissions de carbone de 40 % d'ici 2035 après un pic d'émissions qui est prévu d'être atteint avant 2025. Signe concret de ces efforts, Chinalco a indiqué qu'environ 50 % des produits en aluminium électrolytique avaient été fabriqués en 2020 avec des énergies renouvelables. Baowu Steel, l'un des plus grands sidérurgistes du monde, vise un pic carbone en 2023 et la neutralité d'ici 2050.

En RDC, les entreprises chinoise Zijin Mining et canadiennes Ivanhoe Mines et Citic Metals exploitent une mine de cuivre, Kamoa-Kakula, qui devrait faire d'elle la deuxième plus grande mine de cuivre au monde lorsqu'elle sera en plein production, soit 800.000 tonnes d'équivalent cuivre métal par an. Le site sera alimenté en électricité d'origine hydraulique et avec des équipements fonctionnant avec des batteries électriques. Ce sera l'une des mines les moins émettrices de carbone au monde.

Le développement stratégique des voitures électriques

Le plan quinquennal indique aussi que le développement des voitures électriques est "stratégique". L'objectif initial était de viser une part de marché de 20 % pour ces véhicules d'ici 2025. Or il sera atteint dès cette année.

"La Chine qui ne dispose pas d'une diplomatie pétrolière aussi puissante que celle des États-Unis ou de l'Europe devait trouver un substitut pour sa mobilité. C'est pourquoi elle s'est lancée si tôt et avec autant de succès dans la mobilité électrique. D'ailleurs, sans les ingénieurs chinois, l'Europe ne serait pas devenue le premier marché mondial de véhicules électriques avec 20% des ventes. C'est pourquoi nous aurons de plus en plus de voitures électriques chinoises en Europe", estime Didier Julienne.

En 2020, les entreprises chinoises dirigées par Contemporary Amperex Technology représentaient six des dix premiers fabricants de batteries de véhicules électriques au monde. Pour 2035, Pékin vise 50% des nouvelles ventes.

Enfin, comme l'Union européenne, la Chine compte sur le recyclage de son stock existant de métaux. Selon la CNMIA, l'association qui regroupe les acteurs du secteur, la Chine a consommé 700 millions de tonnes de métaux non ferreux depuis les années 1950. En 2025, projette-t-elle, la production du seul recyclage des métaux atteindra 20 millions de tonnes, dont 4 millions de tonnes de cuivre, 11,5 millions de tonnes d'aluminium, 3 millions de tonnes de plomb et 1,5 million de tonnes de zinc. De quoi alimenter ses gigafactories de batteries pour véhicules électriques et ses ateliers de pales éoliennes et de panneaux solaires. Le président français n'a pas fini de se montrer admiratif!

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Retrouvez l'intégralité de notre dossier sur "la guerre des métaux stratégiques" :

1/ Un enjeu décisif, édito

Métaux : la bataille à ne pas perdre pour l'Occident

Les 10 métaux stratégiques pour la transition énergétique

Entretien avec le professeur Philippe Chalmin

2/ Le raffinage, l'arme redoutable de la Chine pour dominer le marché

3/ Les Etats-Unis en quête d'autonomie relance le secteur

4/ L'Europe voit son avenir industriel dans le recyclage et les mines

5/ La France, l'innovation pour combler le retard et limiter les ruptures

6/ Semi-conducteurs : le risque de pénurie des... métaux

Robert Jules

11 mn

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