Carine Tardieu, la réalisatrice, dit qu’il fallait du courage pour accepter ce rôle. Partagez-vous ce sentiment ?Fanny Ardant - Non, car je suis actrice et je peux tout jouer, même l’ennemi public numéro un. Et puis, c’est quoi, le courage ? Se montrer aux autres sans fard ? Je ne crois pas car, quand je joue, je ne pense pas aux autres. Je vis. Et je suis au service d’un cinéaste. En l’occurrence, Carine voulait que Shauna soit une femme sans séduction, pas une cougar. Elle m’a utilisée avec mon âge, avec ce que je suis, en me filmant avec ma laideur, sans concéder de compromis à l’artiste sur le maquillage ou la lumière. J’aimais que ce parti pris renvoie à l’intelligence des hommes : on part trop souvent du principe qu’ils sont un peu abrutis et ne peuvent tomber amoureux que d’une femme sculpturale de 25 ans. C’est très méprisant à leur égard.
C’est l’intelligence de ce regard qui vous a conquise ?Fanny Ardant - C’est l’amour absolu entre cette femme et cet homme, qui dépasse les préjugés, qui va contre la raison, qui gêne notre société... Leur alchimie dépasse le « bon sens commun ». Leur amour est comme un château enchanté dans lequel personne ne peut entrer. Je trouve dingue qu’en 2021 des histoires comme celle-ci continuent à choquer. Elles ont pourtant toujours rempli la littérature, d’Œdipe à Balzac. C’est vieux comme le monde, même si le cinéma l’a peut-être moins montré. Cela dit, quand je tourne un film, ça ne m’intéresse pas de soutenir une thèse ou de faire la morale. Je ne suis pas là pour éduquer les citoyens. Je me fiche des courants de pensée, la liberté se situe ailleurs pour moi.
C’est-à-dire ?Fanny Ardant - Elle s’exprime dans un parcours et un raisonnement affranchis des lignes de force de notre société moralisatrice et normée. Jeune, je me disais déjà : « Tu ne vas pas te mettre la tête à l’envers pour la gloire, le pouvoir ou l’argent. » Pour l’amour, en revanche... Je ne me suis toujours intéressée qu’au romanesque. Nous ne mettons pas tous l’intensité au même endroit de nos vies, mais, pour moi, celui qui a vécu est celui qui a le plus aimé. Il vaut mieux y aller, quitte à se brûler les ailes, car personne n’est à l’abri de surprises ou de premières fois, quels que soient l’âge et le contexte. C’est ce qu’apprend Shauna avec son amant. Au départ, elle refuse d’entraîner cet homme dans la déconfiture de la maladie, mais ce n’est pas lié à son âge : à 40 ans, on n’a pas plus envie de malmener un amour à travers une épreuve comme celle-ci.
Vous avez eu des réticences avant d’accepter le film. Pourquoi ?Fanny Ardant - Je ne me suis jamais déshabillée au cinéma, même quand j’étais jeune, et les scènes intimes me mettaient mal à l’aise. Quand je vois un acteur ou une actrice célèbre se mettre nu, je sors du film, je regarde comment il est fabriqué. Ce qui ne se produit pas avec un comédien que je ne connais pas. Je déteste aussi ce qui est complaisant au cinéma, et le nu, qui en soi ne me dérange pas, l’est trop souvent. Mais Carine m’a expliqué comment elle tournerait et ne m’a jamais trahie. Ces scènes sont sensuelles sans que nous devenions, Melvil et moi, des morceaux de viande sur un étalage.
Quel partenaire a, justement, été Melvil Poupaud ?Fanny Ardant - Intelligent, attentif, protecteur. Sous mes airs affranchis, je suis très timide. Un jour, je lui ai même glissé à l’oreille que je souhaitais qu’il prenne le pouvoir. Je suis tout le contraire d’une prédatrice, et j’avais besoin qu’il m’aide à faire tomber le masque. Il a pris les choses en main, comme son personnage le fait avec Shauna. Une mise en abîme bienvenue. Et j’ai été incroyablement heureuse sur ce tournage.
L’avez-vous toujours été dans votre carrière ?Fanny Ardant - Je dis souvent que je ne suis pas une actrice promotionnelle, car je n’ai interprété que des rôles que j’aimais. Certains films ont été mauvais ou bien sans succès, mais je m’en moque car, à part peut-être à deux reprises, j’ai toujours apprécié l’expérience, j’y allais pour de bonnes raisons. Jamais je n’ai accepté un personnage pour l’argent. Depuis Homère, toutes les histoires ont été racontées, mais j’adore entrer dans l’obsession d’un autre. Je suis moi-même obsessionnelle et je passerais mon temps à me répéter si les cinéastes ne m’encourageaient pas à échapper à mes tourments.
Craignez-vous que leur désir ne faiblisse avec le temps ?Fanny Ardant - Non, car l’une des grandes vertus de la vieillesse, c’est l’insolence. S’il y a un moment pour s’exclamer « Allez vous faire voir », c’est bien celui-là. Comme ont pu le faire Anna Magnani ou Simone Signoret, que j’admire énormément. Notre société devient folle et impose à beaucoup d’actrices la quête illusoire d’une jeunesse éternelle, mais moi, j’éprouve une certaine jouissance à ne pas être là où le siècle m’attend. Je trouve plus flatteur d’être aimée sans chercher à plaire. S’il faut passer chez le chirurgien pour continuer, eh bien tant pis, je ne jouerai plus ! Je me souviendrai toujours d’Ettore Scola lorsqu’il me racontait : « C’est un drame. Bientôt, on ne pourra plus filmer les vieilles dames. » Et puis, de façon plus empirique, il me semble plus facile de quitter la vie lorsque l’on est marqué par le temps et que l’on s’y est préparé, plutôt que de chercher à entrer intact dans son tombeau. Ma mère et ma grand-mère, mes phares dans la vie, ont vieilli en harmonie avec leur visage et leur corps. Ça résonne très fort en moi aujourd’hui. On me répondra peut-être que c’était une autre époque, mais c’est une justification minable pour expliquer les dérives actuelles.
Le regard des autres semble ne pas vous atteindre...Fanny Ardant - Dans ma vie comme dans mon métier, j’ai toujours assumé les conséquences, je n’ai jamais été une caisse d’épargne, je n’ai jamais eu peur de souffrir. Et dans le chagrin, je ne me suis jamais considérée comme une victime. J’ai joué, parfois j’ai perdu, mais j’ai plus de remords que de regrets. Celui d’avoir moi aussi fait souffrir, par exemple. Et quand on m’avertit : « Dieu te punira », je réponds qu’il l’a déjà fait. Peut-être me réserve-t-il encore quelques revers, mais ça fait partie du jeu.
Avez-vous inculqué cette philosophie à vos enfants ?Fanny Ardant - Très petite, mon père m’a appris que toute autorité était discutable. Je suis peut-être une mauvaise pédagogue, mais j’ai, par exemple, toujours prévenu mes filles qu’elles avaient le droit de contredire un professeur, quitte à ramasser une colle. Oser, c’est être vivant. Je n’ai jamais refusé un rôle par peur de le rater. Quand Franco Zeffirelli m’a proposé Callas Forever, j’étais tétanisée, mais je me suis entraînée comme un boxeur afin que le plaisir du jeu ne soit pas entamé par mon insécurité.
Un mot sur vos projets ?Fanny Ardant - J’espère réaliser mon prochain film bientôt. J’ai aussi tourné dans Couleurs de l’incendie, l’adaptation du roman de Pierre Lemaitre par Clovis Cornillac. Mon personnage, chanteuse d’opéra, a un arc court mais très fort. Et j’ai retrouvé Gérard Depardieu dans les Volets verts, de Jean Becker. Jouer avec Gérard est l’un des plus grands plaisirs de ma vie. Il a ce caractère impossible que j’ai appris à apprivoiser, mais il a surtout cet œil rieur et mélancolique dont je ne me lasserai jamais.
Les Jeunes Amants, de Carine Tardieu. Sortie le 2 février.
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