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Neurosciences : notre cerveau peut se soigner lui-même

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Neurosciences : notre cerveau peut se soigner lui-même
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Le cerveau n’est pas un ordinateur : il a la capacité de se transformer par lui-même. Dans son premier livre, Les Étonnants Pouvoirs de transformation du cerveau, (Belfond, 2008), classé en tête des ventes au Canada, le psychiatre canadien Norman Doidge dévoilait au grand public la plasticité de notre cerveau.

Pour son dernier ouvrage, Guérir grâce à la neuroplasticité. Découvertes remarquables à l’avant-garde de la recherche sur le cerveau, (Belfond, 2016), celui-ci est parti à la rencontre des équipes médicales qui utilisent cette faculté étonnante – en ayant notamment recours aux sons, aux mouvements et à la lumière – pour soigner, voire guérir certaines pathologies qu’on croyait incurables telles que les dommages causés par certains AVC ou des cas d’autisme.

Comment le cerveau peut-il se soigner lui-même ?

Grâce à sa neuroplasticité qui lui permet de changer sa structure et son fonctionnement en réponse à l’activité et à l’expérience mentales. Chaque être humain dispose de cette capacité. Il ne s’agit pas d’une des facultés du cerveau, c’est son mode de fonctionnement, son modus operandi ! À chaque fois que nous acquérons une compétence, qu’une pensée inédite nous traverse, que nous vivons une nouvelle expérience sensorielle, nous modifions des connexions dans notre cerveau. Cela veut dire que nos propres pensées modifient notre cerveau.

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Or cette capacité à créer et à recréer sans cesse des connexions neuronales est à la source d’une nouvelle forme de guérison. Pendant huit ans, pour mon livre, je suis allé à la rencontre de patients suivant des thérapies innovantes fondées sur la neuroplasticité. J’en ai rencontré presque cent que j’ai suivis sur plusieurs années pour voir leurs progrès.

La plupart de ces thérapies utilisent l’énergie, sous forme de lumière, de sons, de vibrations, d’électricité ou de mouvements pour éveiller cette capacité d’autoguérison du cerveau. Étonnamment, nombre de patients à qui on avait dit qu’ils n’iraient jamais mieux ont vu leur état s’améliorer grandement avec ces approches, à tel point qu’on a pu penser qu’il s’agissait de miracle.

Vous évoquez le cas d’un docteur qui a réussi à supprimer définitivement sa propre douleur chronique grâce à un entraînement cérébral précis. Comment cela peut-il être possible ?

Il s’agit de Michael Moskowitz, un psychiatre spécialiste du traitement de la douleur. Il y a quelques années, un accident de sport nautique a provoqué chez lui une douleur dans la nuque qui, avec le temps, a circulé dans l’épaule et la tête jusqu’à atteindre parfois une intensité de 8 sur 10 sur l’échelle de la douleur.

Peu à peu, elle est devenue chronique. Or la douleur chronique est un effet pervers de la neuroplasticité : à chaque fois que les nerfs stimulent les zones de la douleur dans le cerveau, celui-ci améliore sa capacité à l’enregistrer, en y créant de nouvelles connexions neuronales. Il y a ainsi une douzaine de zones dans le cerveau qui enregistrent la douleur. Ces zones ne lui sont pas spécifiques et ont au moins une autre fonction.

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L’amygdale par exemple s’occupe de la douleur, mais aussi des émotions. Lorsque vous avez mal, l’espace consacré à la douleur va avoir tendance à prendre plus de place. Les deux fonctions entrent alors en compétition pour leur espace. C’est ce qui explique pourquoi il est si difficile de se concentrer, de réfléchir ou bien de se mouvoir quand on souffre. En cas de douleur chronique, la zone consacrée à la douleur envahit l’espace jusqu’à 20 %.

Comment peut-on recâbler le cerveau pour venir à bout de la douleur chronique ?

Pendant treize ans, Michael Moskowitz a essayé de nombreuses médecines alternatives sans succès jusqu’à ce qu’il se dise qu’il pouvait sans doute mentalement obliger les régions cérébrales concernées à traiter autre chose que la douleur.

Autrement dit, aider l’autre fonction à entrer en compétition avec la souffrance. Pour cela, il a alors choisi d’utiliser la visualisation, soit notre capacité à former des images par la pensée, car cette faculté est traitée par une grande partie du cerveau.

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Il aurait pu imaginer n’importe quoi, mais il a choisi de visualiser un cerveau dont les parties dévolues au traitement de la douleur sont en train de s’atrophier. À chaque fois que sa douleur chronique réapparaissait, Michael Moskowitz résistait à l’envie de se mettre au repos et se mettait à visualiser ce cerveau. Et ça a marché ! Peu à peu, par une pratique mentale quotidienne, il a reconfiguré et recâblé son cerveau et la douleur a diminué durablement.

Bien sûr, cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Il faut du temps pour défaire les connexions neuronales et en former de nouvelles. Au bout d’un an, il a pu arrêter les traitements médicamenteux. Depuis, de nombreux patients ont bénéficié de son approche.

Est-ce que cela veut dire qu’en cas de forte migraine, il suffirait de faire ce type d’exercice pour calmer la douleur ?

Cela dépend s’il s’agit d’une douleur chronique ou pas. Car il ne faut pas oublier que celle-ci, même forte, joue un rôle important. Elle vous prévient que quelque chose ne va pas. Vous vous faites une mauvaise coupure au pied parce que vous avez marché pieds nus dans la forêt : la douleur est là pour vous prévenir qu’il faut rentrer chez vous, vous désinfecter et vous reposer.

Ce n’est pas de l’ordre de la pathologie, mais le fonctionnement normal du corps humain. Une migraine peut signifier que vous vous alimentez mal, par exemple. C’est lorsque celle-ci devient chronique, c’est-à-dire lorsqu’elle se développe de façon neuroplastique, que ce type d’exercice peut aider.

Vous évoquez l’efficacité de la thérapie par les sons dans des cas d’autisme. Comment cela fonctionne-t-il ?

Nous sommes en ce moment dans un café bruyant où beaucoup de gens parlent entre eux, ce qui crée un brouhaha. Regardez maintenant autour de vous et essayez de vous concentrer sur une conversation en particulier. Vous réalisez que vous avez un zoom auditif : vous pouvez entendre une conversation ciblée dans un endroit bruyant. Certains autistes n’ont pas cette faculté. Il faut ajouter à cela ce que j’appelle le phénomène du « cerveau bruyant ».

Nous avons tendance à penser qu’un neurone est soit allumé, donc vivant, soit éteint, donc mort, ce qui est faux. Lorsque le cerveau est lésé, les neurones s’allument en fait à une mauvaise fréquence (wave), ce qui provoque le « bruit », à l’image du grésillement d’une radio. Ce phénomène explique en partie pourquoi les personnes atteintes de divers problèmes cérébraux n’arrivent plus à réguler leurs sensations. Elles sont trop sensibles aux stimuli extérieurs ou, à l’inverse, insensibles.

Or plusieurs millions d’années d’évolution ont équipé les êtres humains de réactions « préréglées » automatiques et involontaires du système nerveux afin de les préparer aux dangers de leur environnement naturel comme l’attaque d’un prédateur. L’un de ces mécanismes est le passage en mode « lutte ou fuite » du cerveau, qui prépare le sujet à l’action en envoyant le sang vers le cœur ou les muscles.

Beaucoup de patients souffrant de troubles cérébraux sont en état de lutte ou de fuite : incapables de faire face aux événements, ils se sentent acculés, en danger et hyperanxieux. Dans ces conditions, vous ne pouvez pas avoir une activité sociale, créer des liens avec les gens qui vous entourent.

Plus précisément, vous rapportez les résultats spectaculaires de la méthode par les sons du Français Alfred Tomatis tant sur l’autisme que sur des troubles de l’apprentissage.

Paul Madaule, psychiatre français formé par Alfred Tomatis (1920-2001), un oto-rhino-laryngologiste qui a donné le jour à une méthode de rééducation par l’écoute, utilise aujourd’hui de la musique modifiée électroniquement à laquelle il ajoute la voix maternelle pour aider les enfants autistes à exercer leur « zoom auditif ».

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Comme une gymnastique. En faisant cela, ils entraînent leur cerveau à reconnaître la voix humaine. Peu à peu, grâce à la neuroplasticité, ces enfants corrigent les distorsions existant entre leur cerveau et le monde qui les entoure et retrouvent le calme. Mais attention, l’autisme est une pathologie très complexe et il n’y a pas deux cas semblables.

Ce n’est pas simplement une maladie du cerveau, mais une affection qui touche le corps dans son ensemble. J’évoque dans mon livre deux enfants qui ont suivi cette thérapie par les sons : l’un n’est plus autiste et l’autre l’est beaucoup moins. Cette méthode fonctionne bien également pour des cas de troubles de déficit de l’attention ou du langage.

Les sons thérapeutiques alliés à certains mouvements semblent même avoir de bons résultats sur les bébés qui refusent de manger ou de dormir…

Une grande partie des enfants qui refusent de manger, y compris les bébés qui ont des coliques, souffrent en réalité non pas de troubles gastro-intestinaux, mais d’un problème de traitement de l’information sensorielle, ce qui les rend très difficiles. S’alimenter ne consiste pas simplement à absorber des aliments, mais aussi des données sensorielles.

Un nouveau-né doit ainsi les traiter en cascade : le contact du sein, la texture du lait, son goût sucré et sa chaleur, les contractions liées à la digestion, etc. Un enfant atteint d’un trouble du traitement de l’information sensorielle vit tout cela comme un déferlement écrasant de sensations en provenance du dedans et du dehors.Des médecins du Sensory Therapies and Research (Recherche et thérapies sensorielles) de Denver utilisent dans ce cas une thérapie qui mêle à la fois le son et le mouvement, pour aider ces enfants à mieux traiter les informations envoyées par plusieurs sens à la fois.

Comment le mouvement peut-il avoir un effet thérapeutique sur le cerveau ?

J’évoque dans mon livre le cas de John Pepper, un malade de Parkinson qui a fait reculer les symptômes de la maladie grâce à la marche consciente. La marche fait ainsi partie des actions automatiques complexes que nous avons acquises en deux temps. Tout d’abord on les apprend en se montrant très attentif au moindre détail. Cette phase d’apprentissage conscient met en jeu des circuits neuronaux préfrontaux (derrière le front) et sous-corticaux (à l’intérieur du cerveau).

Ce n’est qu’après que l’enfant a intégré tous ces détails qu’il les associe en une séquence automatique grâce aux ganglions de la base (un noyau de structures nerveuses profondément enfouies dans le cerveau). Lorsque ces derniers sont lésés, comme dans la maladie de Parkinson, l’exécution de ces séquences motrices complexes et l’acquisition de nouveaux automatismes deviennent très difficiles. Pour pouvoir marcher sans tituber, John Pepper a dû porter une attention extrême à chacun de ses gestes, à l’instar d’un enfant qui apprend à marcher.

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En faisant cela, il a en quelque sorte contourné les ganglions de la base. Peu à peu, grâce à la neuroplasticité, son cerveau a commencé à automatiser sa nouvelle façon de marcher, libérant son esprit conscient pour d’autres activités. Le mouvement en conscience, tel que pratiqué par John Pepper, est issu d’une thérapie bien particulière, la méthode Feldenkrais.

Autre source de guérison que vous évoquez, la lumière. Comment les rayons lumineux peuvent-ils soigner le cerveau ?

Nos corps sont bien moins opaques que nous le pensons. Certaines fréquences de rayon lumineux qui pénètrent sous la peau peuvent guérir. C’est ce que l’on a découvert avec l’ictère des nouveaux-nés, lorsqu’on s’est rendu compte que la lumière naturelle pouvait guérir cette affection du foie.

Les rayons du soleil ont aussi des effets sur la tuberculose et certaines infections. Lorsque les lasers ont été découverts dans les années 1960, les scientifiques ont d’abord utilisé les lasers chauds qui brûlent la chair, pour la chirurgie. Aujourd’hui, nous savons que les lasers de basse intensité peuvent cicatriser les blessures.

Chez les femmes, ils font même pousser les cheveux ! (Ils n’ont pas le même effet chez les hommes à cause de leur taux de testostérone). Les scientifiques se sont demandés si ces lasers de basse intensité ne pouvaient pas également soigner les cerveaux lésés. Aujourd’hui, à Toronto, environ 2 000 patients ayant eu par exemple un AVC ou une commotion cérébrale suivent des séances de laser basse intensité avec de très bons résultats. L’exposition du cerveau à certaines fréquences lumineuses permet ainsi de recâbler les circuits neuronaux dormants.

Attention, il existe des lésions cérébrales très différentes, aucun cerveau n’est semblable et cela ne fonctionne pas pour tout le monde. Mais 2 000 personnes, cela fait déjà beaucoup. D’autant que ce sont des gens à qui les médecins avaient dit qu’ils ne pourraient jamais aller mieux.

Votre livre a été publié en janvier 2015 aux États-Unis. Y a-t-il eu depuis de nouvelles découvertes ?

La recherche va vite. J’ai découvert après la publication du livre d’autres thérapies innovantes. Dans l’Utah, par exemple, une clinique spécialisée dans les atteintes de la moelle épinière applique les principes de la neuroplasticité aux lésions de la colonne vertébrale. Lorsque j’ai commencé à écrire, les médecins disaient aux personnes cérébrolésées que, certes, ils avaient 80 % de chances que leur état s’améliore, mais ils ajoutaient que si ce n’était pas le cas, ils ne pourraient pas progresser à l’avenir.

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Certains scientifiques restent ainsi obstinément accrochés à l’idée que le cerveau est immuable, que c’est une machine. Mais non, le cerveau n’est pas un ordinateur ! Un disque dur ne peut pas se recâbler tout seul ! Le cerveau est davantage comme un arbre dont les branches se renouvellent sans cesse.

Au final, dans mon livre, je décris neuf expériences thérapeutiques qui peuvent être tentées sur des maladies touchant le cerveau ou des lésions cérébrales. Donc, nous sommes passés d’une offre nulle à de nombreuses thérapies possibles. Nous sommes en train de vivre une révolution médicale.

Norman Doidge est psychiatre, psychanalyste et chercheur à l’université de Toronto et à l’université Columbia à New York, où il enseigne. Il est également éditorialiste au quotidien canadien The National Post.

Nos sources :Les Étonnants Pouvoirs de transformation du cerveau, Norman Doidge, Belfond, 2008.Guérir grâce à la neuroplasticité. Découvertes remarquables à l’avant-garde de la recherche sur le cerveau, Norman Doidge, Belfond, 2016.When Listening Comes Alive. A Guide to Effective Learning and Communication, Paul Madaule, Moulin, 1994.L’Oreille et la Vie, Alfred Tomatis, Robert Laffont, 1977.

Cet article est paru dans Sens et Santé en mai-juin 2017.