French

Opinion | La finance et la banque à l'état gazeux | Les Echos

  • Accueil
  • Article
  • Opinion | La finance et la banque à l'état gazeux | Les Echos
Opinion | La finance et la banque à l'état gazeux | Les Echos
Images
  • Par electronics-phone
  • 517 Vues

Curieuse expression qui renvoie à un tout autre domaine : celui de l’art. «L’art à l’état gazeux» est un livre de chroniques et critiques artistiques rédigées par Yves Michaux, célèbre essayiste. Son livre est construit autour d'un paradoxe. Nous vivons dans le monde du triomphe de l'esthétique. Tout est supposé être beau : les produits packagés, les corps du «body-building», l'environnement protégé et préservé, la nourriture dans les assiettes...

Ce n'est pas la fin de l'art et il n'y a pas lieu de crier au scandale. Mais c'est la fin du régime traditionnel de l'art, celui où il produisait des objets.

Quelles banques pour quels clients ?

Les nouvelles façons d’emprunter et de prêter auraient radicalement changé. Comme pour l’art, la finance serait maintenant un peu partout gérée, animée et distribuée par de nouveaux acteurs suivant une position de principe : les tiers de confiance (les banques) ont disparu du paysage financier. Les sollicitations de crédit ne sont plus adressées à des banques ou institutions financières. Il n’y a plus de middle-men pour recevoir ces demandes et éplucher le contenu du dossier portant demande de crédit. Donc, enfin, les demandeurs de crédit n’ont plus à s’embarrasser de notes, d’explications, de dessins et d’assaut d’amabilité à l’égard d’un personnel bancaire dressé à n’avoir aucune imagination et convaincu qu’il ne peut être tenu responsable pour quoi que ce soit puisque les documents qu’il manipulait devaient atterrir dans le ventre des ordinateurs maisons, transformés en data et moulinés dans l’esprit de tel organisme de crédit, en fonction de ses critères et selon les notations qu’il attribuerait.

La question «qui ?» prend une tournure de plus en plus disruptive. Le monde de la finance et de la banque bascule plus vite qu’on le pensait et ses fondements craquent sous la pression de forces de plus en plus violentes. Sous l’effet d’une dislocation des plaques bancaires et financières, on observe le passage d’un monde massif «rockefellerien» à un monde gazeux, d’un monde où la finance et la banque sont exercées par des organismes qui ont la consistance de mégalithes à un monde où les fonctions de l’entreprise, y compris celles de l’entreprise de financement sont éclatées entre des apps, des logiciels, des protocoles sans qu’il soit possible de répondre au «qui ?» et par voie de conséquence, sans qu’on soit sûr du «où ?» de la prestation bancaire et financière.

Gazeux, parce qu’il n’est plus possible de localiser les prestations de service

Opinion | La finance et la banque à l'état gazeux | Les Echos

Elles sont livrées à partir d’une combinaison délocalisée de compétences à l’opposé du modèle ancien de la banque et des institutions financières, nécessairement localisables, solides grâce à des hiérarchisations pareilles aux lignes de force qui assurent la parfaite stabilité d’un édifice, lieux où on sait se rendre et qui, pour se rapprocher, se démultiplient en lieux secondaires, sous la forme de guichets d’agences, succursales, filiales ; à l’opposé, donc, de ce modèle ancien qui mobilise des compétences humaines installées dans des locaux adaptés à l’accueil de la clientèle, un nouveau modèle se mettrait en route.

Si nous maintenions l’expression «ma banque», il faudrait réellement la prendre dans l’absolue vérité du terme et en décliner les composantes : je mobilise ma banque à partir de mon ordinateur, de ma «wallet», de mon réseau, de ma clé et j’active le «smart contract» garantie, le «smart contract» intérêt, etc.

Pourtant, J’active le «smart contract»… n’est pas même cohérent : en vérité, j’ai choisi parmi les différentes solutions disponibles sur le marché des apps et j’en ai retenu un, que j’oublierai peut-être un peu plus tard pour un autre moins cher, plus efficace.

Ainsi, la néo-banque ultime sera un conglomérat instable de morceaux de fonctions bancaires fonctionnant sous la garde et la protection sécuritaire d’une blockchain, la meilleure bien entendu, ou plus précisément, la meilleure pour le moment.

Mais reconnaissons que les consommateurs seront enfin libérés des tiers de confiance, tous ceux-là qui se gobergeaient sur leurs dos de consommateurs sous-informés. Mais aussi reconnaissons que mettre en place de solides règles de supervision et de régulations ne sera pas facile. Aussi difficile que de cantonner un gaz et de vérifier la conformité de ses particules.

Pascal Ordonneau, ancien PDG de HSBC invoice finance, est secrétaire général de l'Institut de l'Iconomie.