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Sous-marin nucléaire : ils racontent la première patrouille du Redoutable [Vidéo] Réservé aux abonnés

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Sous-marin nucléaire : ils racontent la première patrouille du Redoutable [Vidéo] Réservé aux abonnés
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Comment s’est déroulée cette patrouille à bord du premier sous-marin nucléaire français ? Ils ne sont pas nombreux à en connaître les détails, à l’exception des marins concernés et des rares autorités évoluant dans le « secret des dieux ». On sait seulement que l’imposante coque noire est rentrée en presqu’île de Crozon après 54 jours de mer et une mission effectuée dans les eaux froides de l’hémisphère nord. Ni vu, ni connu, le Redoutable écrivait ainsi la première page de la dissuasion nucléaire française par la mer.

Discrétion jusqu’au bout

Aucun communiqué, pas de photo, aucune conférence de presse pour confirmer la réussite de cette première mission très attendue. Une fois rentrés à la maison, les 135 marins respectaient scrupuleusement les consignes de discrétion. Pendant que les journalistes de l’époque ramaient pour écrire sur l’événement.

« Pour être honnête, on n’a pas su grand-chose de cette première patrouille » se souvient Yves Cariou, alors chef de rédaction du Télégramme à Brest. « Il fallait deviner le jour de son départ. On savait que tout était prêt à l’Ile-Longue mais on l’a raté ». Le journaliste avait l’habitude d’appeler le bord, le standard du Redoutable en direct. « Il y avait toujours quelqu’un à répondre. Mais un jour, ça a sonné dans le vide. On a compris qu’ils étaient partis ».

Fin janvier 1972, les 135 marins du Redoutable quittent l’Ile-Longue sur la pointe des pieds. En réalité en deux temps, à cause d’un incident mineur qui les fait revenir à quai une poignée d’heures. Le faux départ n’échappe pas au journaliste du Télégramme qui se fend de quelques lignes en page locale. Le Redoutable repart, tout aussi discrètement, sans son numéro de coque S611 effacé quelques mois plus tôt…

Toutes sortes de visiteurs

Alors second maître, le détecteur âgé de 24 ans, Christian Le Roux s’était préparé depuis des semaines. « Le Redoutable avait bouclé une traversée de longue durée concluante et on partait avec tous les missiles nucléaires » se souvient-il. « Nous avions énormément de travail mais pas de pression particulière, si ce n’est la veille du départ… » Lorsqu’un amiral est venu leur dire que « le monde les regardait et pas seulement les Français ! ».

Ce que confirme l’ancien journaliste du Télégramme. « Il y avait des navires russes ou autres, souvent de drôles de bateaux de pêche qui venaient faire relâche en rade de Brest ». « On croisait aussi des touristes un peu curieux, semble-t-il attirés par les charmes indiscutables de la presqu’île… ». En pleine guerre froide, l’Ile-Longue attirait toutes sortes de visiteurs

« Il y avait souvent des navires qui traînaient autour de nous », abonde le sous-marinier. « On a d’ailleurs mis un peu de temps avant de plonger, pour être sûr que personne ne relève notre signature acoustique », précise Christian Le Roux.

« Le nucléaire ne nous faisait pas peur »

Au vu des sommes astronomiques engagées dans la dissuasion, la pression politique était immense. La France allait s’asseoir à la table des puissances majeures, Américains, Russes et Anglais disposant de sous-marins nucléaires en activité. « À l’époque, j’ai 24 ans et je suis très loin de ces considérations. Je suis concentré sur mon travail à bord… » synthétise Christian Le Roux.

« On avait la pression du résultat mais on n’a jamais eu peur de partir à bord d’un navire nucléaire. On savait qu’on n’avait pas le droit à l’erreur mais on ne craignait pas pour notre sécurité et notre peau. Le nucléaire ne nous faisait pas peur ». Le bateau avait fait ses preuves lors des essais et la confiance était au beau fixe sous les ordres du charismatique commandant Louzeau qui emmenait tout ce beau monde sans sourciller.

Attaché au fonctionnement d’une sorte d’ordinateur grand comme une armoire bretonne (« qui devait approcher la puissance d’un micro-ordinateur d’aujourd’hui »), il reste concentré sur sa mission. « Il nous servait à contrôler la chaufferie nucléaire, les tirs de missiles et un tas d’opérations vitales ». « C’était comme une armoire qu’on actionnait avec des clés. Un équipement très moderne pour l’époque ! ».

« C’était grand luxe à côté des diesels »

À bord, c’était le grand luxe, à côté des sous-marins diesel. Tout le monde avait sa couchette et les repas restaient très soignés. « Certains revenaient avec quelques kilos en plus ». « Il y avait d’ailleurs des survêtements à la coopérative pour ceux qui ne rentraient plus dans leur uniforme en fin de patrouille… ». Le travail intense était entrecoupé de tranches de belote, de résultats et pronostiques sportifs, de parties de tarot, d’échecs, du cinéma le dimanche. « C’était avant l’arrivée des walkmans et des ordinateurs portables dans les bannettes… », soupire le sous-marinier.

« On prolongeait souvent nos quarts d’une heure ou deux, il y avait une véritable émulation à réussir cette première mission ! ».

Autre souvenir de cette patrouille historique et non des moindres ! Son 24e anniversaire à bord, deux jours après le départ. Le premier célébré à bord d’un sous-marin nucléaire français. Le boulanger avait préparé un gâteau sans bougie.

Encouragé par le médecin du bord, le jeune second-maître a même trouvé l’énergie de travailler son bac, le soir, entre deux tubes lance-missiles. L’officier qui croyait en lui ne le regrettera pas… 19 ans plus tard, Christian Le Roux reviendra en tant que commandant en second à bord du Redoutable et prendra la barre du SNLE Foudroyant entre 1995 et 1997 avant de diriger l’escadrille entre 2000 et 2002 et de quitter la marine deux étoiles d’amiral sur la manche !

Barbus et les cheveux longs

Au retour de cette première patrouille, les autorités les attendaient sur les quais. Barbus, les cheveux longs et quelques kilos en plus, ils laissaient les clés à l’autre équipage venu les accueillir pour la deuxième (autour de 510 patrouilles effectuées depuis 1972 !).

Seulement prévenues de leur retour la veille, les familles retrouvaient des marins peu bavards. De son côté, le journaliste du Télégramme n’apprenait que quelques jours plus tard le retour du Redoutable. « On avait pourtant l’habitude de laisser traîner nos oreilles sur le marché de Saint-Louis ou de sonder les commerçants du secteur au sujet des commandes indiquant les retours de mer… Mais rien pour cette première ». La Force océanique stratégique avait déjà plongé dans le monde du silence.

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