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L'internet du futur sera quantique, et voici à quoi il ressemblera

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L'internet du futur sera quantique, et voici à quoi il ressemblera
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On vous en parle depuis au moins deux ans : dans les labos de recherche du monde entier, des scientifiques planchent actuellement sur une nouvelle génération d’ordinateurs : des ordinateurs quantiques. Alors que les PC classiques arrivent au bout des performances atteignables avec leurs microprocesseurs et leurs données codées en chiffres binaires, leur version quantique utilise des "qubit", un superconducteur qui ne répond pas aux lois physiques classiques, et qui peut être a plusieurs endroits en même temps, permettant ainsi de réaliser des calculs parallèles, en simultané, et non de manière séquentielle. Autrement dit, ils permettraient de résoudre des équations quasi-insolubles pour l'informatique traditionnelle, avec une rapidité confondante.

Informatique et cryptographie quantique

En démultipliant le potentiel de calcul des systèmes d'IA, les futurs ordinateurs quantiques pourraient bien révolutionner de nombreux secteurs industriels, de la santé à la chimie, en passant par l’industrie, la sécurité informatique, les voitures autonomes, l’énergie, ou encore les transports et la gestion du trafic.

L’informatique quantique devrait aussi permettre, selon l’expert Renaud Lifchitz, de briser le chiffrement asymétrique et les algorithmes RSA, utilisés dans presque tous les domaines touchant la sécurité du Web. Le chiffrement RSA repose en effet sur la difficulté de factoriser les grands nombres en nombres premiers, mais avec des calculs quantiques, il deviendrait possible de casser l’algorithme asymétrique. Les cryptomonnaies et leur colonne vertébrale, la blockchain, ne sauraient pas non plus résister à une telle technologie. C’est pourquoi des mathématiciens se tournent vers la cryptographie quantique pour concevoir des codes de chiffrement capable de résister aux piratages reposant sur des ordinateurs quantiques, et pour nous permettre d’échanger en toute sécurité des clés privées - des “clés quantiques”.

La “distribution quantique de clé” (Quantum Key Distribution ou QKD), sur laquelle planchent les chercheurs du monde entier, se présente comme un “équivalent fonctionnel des mécanismes asymétriques usuels de négociation de clé utilisés dans la plupart des protocoles de communication sécurisée déployés sur Internet ou dans des réseaux privés”. La particularité de la QKD serait de posséder un “niveau de sécurité supérieur”, note l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.

Téléportation quantique

De là découle l’idée que l’informatique quantique pourrait nous permettre de créer un tout nouveau système de communication, une sorte d’internet quantique, sur lequel l’information serait codée et partagée dans des qubits. Comme l’internet actuel, il devrait permettre à des ordinateurs du monde entier d’interagir entre eux. La différence serait qu’il mettrait en réseau des ordinateurs quantiques. Des machines capables de travailler ensemble simultanément, pour tenter de résoudre des problèmes dans tous les domaines, mais aussi de communiquer d’une façon ultra-sécurisée ; avec une vitesse et des performances nettement supérieures en matière de transport de données.

Concrètement, les communications seraient, ce qui n’est pas toujours le cas avec les réseaux actuels, inaltérables. Les échanges d’informations entre votre ordinateur et tout autre appareil seraient en effet sécurisés et totalement à l’abri des hackers, car la QKD permettrait de rendre les informations confidentielles, mais aussi “intègres” (non modifiables par un pirate informatique). Un internet quantique serait aussi capable de transmettre des informations quantiques sur de longues distances, sans recourir à des “nœuds de confiance” vulnérables, mais en passant par un “cloud sécurisé”, où les utilisateurs du serveur seraient incapables de voir les données des autres. Grâce aux qubits, les données seraient transportées d’un point à un autre sans altération, et quasi instantanément ; au point que les chercheurs parlent de “téléportation quantique”.

L'internet du futur sera quantique, et voici à quoi il ressemblera

Des expériences sont menées depuis au moins 10 ans autour de l'intrication quantique. Ce phénomène lie intimement les propriétés de deux particules, quelle que soit la distance qui les sépare. Elles forment en quelque sorte un tout indivisible, même si elles sont séparées par des années-lumière. Mais il suffit d’observer l’une des deux particules pour que ses propriétés changent. En 2019, des physiciens britanniques et canadiens sont parvenus, chacun de leur côté, à effectuer les premières téléportations “d’états quantiques” entre des qubits. Les britanniques ont utilisé des puces au silicium, qui s’envoient des paires de photons (des particules de lumière) “intriqués”. Ces paires de photons se succédent jusqu’à ce que la connexion soit établie et que l’information soit transférée ; ce qui permettrait d’éviter la modification des données.

En revanche, le simple fait pour un intrus d’intercepter et d’observer ces informations dans un potentiel “réseau quantique” les altérerait. Les propriétés d’un qubit ne pouvant être mesurées sans en changer l’état, il serait en effet impossible d’en faire des “copies” exactes. Cette limitation, connue sous le nom de non-clonage quantique, empêcherait alors un pirate informatique d’extraire des informations quantiques sans laisser de trace. En outre, grâce aux lois de la physique quantique, les machines échangeant ces informations seraient immédiatement informées de toute modification. Ainsi, sur l’internet quantique, une intrusion tierce serait systématiquement détectable et une tentative d’interception serait décelée instantanément : la communication serait alors interrompue avant que des informations sensibles ne soient perdues.

Un internet quantique bel et bien en marche

Les réseaux quantiques permettraient donc de créer, stocker et déplacer facilement des informations, sans les contraintes des réseaux classiques : la lenteur, les erreurs de transmission, et les pertes de paquets. Les chercheurs canadiens, de l’université de Toronto, qui ont de leur côté utilisé un “répéteur quantique” photonique (un dispositif capable de transmettre de l’information quantique sur de très longues distances via des fibres optiques), ont ainsi créé le prototype d’un “réseau de communication quantique”, où les données sont transmises à une vitesse proche de celle de la lumière, sans aucune altération.

Au centre de recherche QuTech de Delft, des scientifiques, néerlandais cette fois, planchent sur un “réseau à mémoire quantique” transportant des qubits et reliant quatre villes des Pays-Bas (Amsterdam, Leiden, La Haye et Delft). Une version quantique d’Arpanet, l’ancêtre de l’internet. En parallèle, un projet européen plus vaste appelé Quantum Internet Alliance, vise à élargir l’expérience néerlandaise à une échelle continentale. Il réunit des informaticiens, des ingénieurs réseau et télécom, ainsi que des experts en sécurité, avec pour objectif de créer un véritable “internet quantique”. D’autres chercheurs, au MIT et à Harvard, conçoivent des “noeuds quantiques” destinés à éviter toute perte de signaux quantiques.

Enfin, en Chine, plusieurs équipes travaillent depuis 2017 sur une téléportation quantique depuis l’espace, à l’aide de satellites et de rayons lasers. Elles ont déjà réussi à plusieurs reprises à envoyer, sur de très longues distances (entre 1200 et kilomètres), une information instantanée, indéchiffrable et inviolable. Les chercheurs décrivent leur futur réseau, déjà opérationnel entre Pékin et Shanghai, comme un dispositif “qui combinera à terme des liaisons par fibre et par satellite”, afin de fournir aux entreprises chinoises “une technologie de confiance”.

Bref : tout cela pour dire qu’il ne s’agit pas d’une utopie, mais bel et bien d’un réseau en cours de construction. La plupart des scientifiques imaginent une première version de ce Net à la sauce qubits pour 2024-2025.

Les applications de l’internet quantique

L’internet actuel est loin d’être sécurisé. Les failles sont nombreuses, et les hackers sont constamment en train de les exploiter. Avec un internet quantique ultra-sécurisé, plus de risques de piratages, donc (à priori). Plus de pertes ou d’altérations de données, non plus, ni de lenteurs, ni de bugs, ni de plantages. Une révolution, en somme. Quels usages pourraient alors naître ?

Les chercheurs et les partisans d’un internet quantique soutiennent qu’un tel réseau devrait rendre possible tout un tas d’applications irréalisables avec les communications classiques. Par exemple, l’interconnexion d’ordinateurs quantiques, la convergence de télescopes très performants situés dans des observatoires éloignés, ou encore l’élaboration de nouvelles méthodes de détection des ondes gravitationnelles. Évidemment, la possibilité de relier entre eux des ordinateurs quantiques pourrait permettre de créer de véritables “architectures de calcul quantique distribuées” ; la France, en tout cas, y croit, et prépare depuis janvier 2020 un “plan national” pour ne pas rater ce “virage technologique’.

La QKD devrait par ailleurs permettre, avance Stéphanie Wehner, membre de l’équipe scientifique du projet Quantum Internet du QuTech, “de rendre possibles de nouvelles formes d’informatique à distance” ; par exemple, l’accès à un ordinateur quantique à partir de sa machine non quantique. “Grâce au réseau quantique, vous pourriez de chez vous utiliser un appareil quantique très simple et réaliser des simulations”.

Côté grand public, une multitude d’applications pourraient aussi voir le jour, “telles que les enchères, les élections, les négociations de contrats et le commerce accéléré – qui pourraient exploiter les phénomènes quantiques pour les rendre plus rapides ou plus sûres que leurs homologues classiques”, observe Jean-Philippe Carville, directeur de projet informatique à la mairie de Paris, sur le site de son association, LUNIL.

L’intrication quantique caractéristique de ce nouveau système de communication devrait aussi favoriser le travail collaboratif, en facilitant les tâches qui nécessitent une coordination à distance. La synchronisation d’horloges utilisant l’intrication quantique pourrait aussi améliorer la précision des réseaux de navigation et de géolocalisation, tels que le GPS.

L'Internet Engineering Task Force (IETF) imagine aussi que l’internet quantique pourrait aboutir sur un protocole sécurisé permettant de rendre les boîtes de courrier électronique, les navigateurs web, le streaming vidéo, ainsi que les applis de VoIP plus rapides et plus sûres. Un tel protocole permettrait aussi de sécuriser la blockchain et ses multiples applications, en créant des “blocs quantiques”.

Enfin, l’internet quantique rendrait peut être possible la création d’un web véritablement sécurisé, décentralisé et pourquoi pas, proche des idéaux de ses débuts : “un outil ouvert, collaboratif et émancipateur”, comme le rêvait Tim Berners-Lee, son fondateur. Il est toujours permis de rêver, non ?