Dans le cadre de la Grande Tribune de la présidentielle, nous recevons Michel Barnier, l'un des candidats à l'investiture de la droite. A 70 ans, le savoyard des J.O. d'Albertville, est parti fin août à la conquête d'un nouveau sommet, la présidence de la République. Député, sénateur, ministre avec des portefeuilles importants : affaires Européennes, affaires étrangère, environnement, agriculture, il a été à deux reprises commissaire européen chargé des politiques régionales, puis du marché intérieur. Plus récemment, il a été le négociateur français pour le Brexit, un long marathon semé d'embuches dont il a tiré un livre : « La grande illusion. Journal secret du Brexit ». Son projet, une « France réconciliée » veut maîtriser l'immigration, remettre le mérite et le travail au centre de la société, mener le combat contre le dérèglement climatique. Dans cette bataille, Michel Barnier est le troisième homme, derrière Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, selon les sondages, mais est en tête concernant celui qui pourrait le mieux représenter la France à l'étranger.
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LA TRIBUNE - Vous avez surpris tout le monde il y a 15 jours en annonçant un référendum sur l'immigration et en prenant vos distances avec les règles migratoires européennes. Pourquoi courir après cette thématique de l'extrême-droite, du RN à Eric Zemmour. Est-ce que vous n'avez pas intérêt à vous différencier par rapport à ces candidatures à la présidentielle ? MICHEL BARNIER- Je ne cours après personne. Surtout pas après ceux que vous avez cités, qui n'ont pas les mêmes valeurs, ni les mêmes idées que moi. Avec lesquels il n'y aura jamais aucune faiblesse ni aucune compromission. Je regarde les problèmes de mon pays, tels que les gens les vivent. Et parmi ces problèmes qui sont graves, au point de causer des ruptures, de grandes tensions, pas seulement dans les banlieues, il y a cette question de l'immigration qui n'est plus maîtrisée. Notre politique nationale de l'immigration ne fonctionne pas. Pas plus que ne fonctionne la politique européenne.
Si vous êtes candidat à la présidentielle, vous devez, si vous êtes sérieux, regarder les problèmes, les comprendre et proposer des réponses. C'est ce que j'ai fait et pas seulement depuis 15 jours. J'ai annoncé mes idées, mes projets sur cette question avant l'été. Je les ai confirmées dans un article du Figaro en juillet. Il n'y pas de surprise. Nous devons donner un coup d'arrêt au laisser-faire, au laissez-passer. Remettre à plat les procédures pour qu'elles fonctionnent correctement. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Traiter ces questions de manière humaine et rigoureuse. Nous avons aussi besoin de nous protéger contre une accumulation de jurisprudences, du Conseil constitutionnel, du Conseil d'Etat, de la Cour de Justice européenne, de la Convention européenne des droits de l'Homme pour, dans certains cas, prendre des mesures sous notre propre responsabilité et dans le cadre de notre souveraineté.
Dans quels cas ? Vous avez été critiqué par vos amis européens qui trouvent curieux de voir l'homme de la négociation du Brexit réclamer un Frexit partiel sur l'immigration...
C'est une vraie caricature. J'ai vu cette agitation de la « bulle bruxelloise ». J'ai été Européen avant beaucoup d'entre eux et je le serai après beaucoup d'entre eux. Je n'ai pas de leçon d'engagement européen à recevoir. C'est précisément parce que j'ai eu la responsabilité de gérer le Brexit que j'ai dit qu'il fallait en tirer les leçons. Je l'ai écrit dans mon livre. Il y a des choses à changer. Le Brexit, ce n'est pas un petit événement. C'est un événement extrêmement grave qu'un pays aussi important que le Royaume-Uni quitte l'UE. Tout au long des négociations, j'ai essayé de comprendre pourquoi cela s'est produit. Pourquoi 52% des Britanniques ont voté contre Bruxelles. Toutes les raisons ne sont pas à chercher à Bruxelles, mais une partie vient de Bruxelles, de cette forme d'arrogance des gens qui pensent qu'ils ont toujours raison, que rien ne doit changer. Les mêmes qui ont dit pendant 30 ans, il faut déréguler, ouvrir les portes et les fenêtres, alors que personne d'autre, ni les Chinois, ni les Américains, n'ont fait la même chose. C'est comme ça qu'on a désarmé la régulation financière, qui a conduit à la crise de 2007. Je peux en parler avec beaucoup de sérieux, car j'ai géré l'après-crise. On a laissé les banquiers faire n'importe quoi, avec des bonus insensés et des produits toxiques. Il faut faire attention.
C'est donc parce que je suis Européen en plus d'être patriote que je pense qu'il y a une discussion à avoir avec nos partenaires sur Schengen et les accords de Dublin. Le temps d'un moratoire, pour négocier avec les pays d'Afrique et remettre les choses à plat chez nous, de manière souveraine. Il y quelques années, l'Allemagne, par exemple, s'était dégagée des règles européennes en disant que pendant deux ans, ils allaient suspendre les règles de regroupement familial. Personne n'a rien dit.
Il y a quelques semaines, l'ancien Premier ministre de M. Macron, Edouard Philippe a dit à propos d'une décision de la Cour de Justice européenne concernant le temps de travail des militaires, qu'elle était inacceptable. Elle est scandaleuse, elle remet en cause nos valeurs nationales. Il ne faut pas l'accepter et personne n'a rien dit.
Je dis les choses calmement et simplement. Il y a beaucoup d'abus sur les questions migratoires, de procédures détournées ou abusées. Il faut mettre en place un bouclier constitutionnel qui nous mette à l'abri. Nous verrons pendant le temps du moratoire, les lois ou les directives que nous devrons corriger et à travers un référendum organisé au mois de septembre et dont les termes seront connus dès le mois de mai, lors des élections législatives, pour pouvoir consulter le Parlement tous les ans pour qu'il décide du quota de personnes qu'on souhaite accueillir chez nous. Pour prendre le temps de reconstruire un consensus national, mais aussi mieux accueillir les gens que nous accueillons chez nous.
Vous vous présentez comme le candidat de la réconciliation. Vous parlez de fraternité. Comment vous adresser au centre droit, aux gens qui peuvent être déçus par rapport à l'action du président actuel ? Concernant l'immigration, la mesure est prise par tout le monde. En France, des gens de droite et de gauche constatent que cela ne fonctionne pas. Je veux que cela fonctionne, nous devons assurer l'asile, c'est notre honneur. A condition que ce ne soit pas détourné. Il faut qu'on prenne le temps de mieux accueillir les gens que nous accueillons et que cette politique fonctionne. J'ai reçu des messages des gens de gauche pour me dire : vous êtes dans la bonne direction, en disant les choses. Je propose ces mesures parce que je suis européen et que je ne veux pas d'autre Brexit. L'arrogance, la certitude qu'on fait toujours tout bien, c'est le meilleur moyen pour qu'il y ait d'autres Brexit et je ne veux pas cela. Sur le sujet de l'immigration, on agite à l'extrême-droite le thème du « grand remplacement », on parle de grande invasion migratoire. Comment parler de réconciliation aux Français qui ont ces peurs ?
Précisément en traitant ces questions et en montrant que le nouveau président de la République, que j'espère être avec leur confiance, traitera ces problèmes et fera ce qu'il dit. J'ai beaucoup réfléchi avant de faire ces propositions, qui seront mises en œuvre méthodiquement, au lendemain des élections présidentielles, pour que les Français s'aperçoivent qu'il y un coup d'arrêt à des mouvements, des flux qui ne sont plus maîtrisés aujourd'hui. Nous devons également garder la maîtrise de l'immigration en France et au niveau européen.
Avec 150.000 emplois non pourvus dans l'hôtellerie et la restauration, par exemple, beaucoup d'entreprises sont bien contentes de voir des immigrés arriver !
Nous devons être capables de dire que nous avons besoin de personnes qui viennent chez nous, que nous accueillons correctement, avec des salaires corrects. Mais nous devons choisir ceux que nous voulons accueillir. En matière d'immigration aujourd'hui, tout est négatif. Les gens sont mal accueillis et il n'y a pas de consensus national. Je voudrais en reconstruire un.
Comment répondre à la défiance vis-à-vis de l'Europe ?
Je pense, comme disait de Gaulle, que l'Europe, c'est un peu le levier d'Archimède de notre influence. Tony Blair disait la même chose pour le Royaume-Uni. C'est important de dire pourquoi nous sommes Européens et devons le rester. Le projet européen doit rester une ambition française, en plus de notre patriotisme de défense et de notre souveraineté nationale. Il y a un certain nombre de défis, tout le monde peut comprendre cela, qu'on ne peut plus affronter seuls. Les flux migratoires sont causés par la grande pauvreté en Afrique : comment redonner espoir à un continent dont la jeunesse est le principal atout ? On ne peut pas le faire seul. Le budget européen est bien plus important que le seul budget français pour le co-développement en Afrique.
Comment faire face au changement climatique, qui est un engagement depuis longtemps pour moi et que je ne laisserai pas aux écologistes ? Comment faire face à la lutte contre le terrorisme, au djihadisme qui nous frappe ici, chez nous, comme partout dans le monde? Comment faire face à la maîtrise de la finance mondiale ? Les mouvements de produits financiers dérivés, qu'on utilise dans l'industrie pour se protéger de certains risques, mais qu'on utilise aussi beaucoup du côté des spéculateurs, c'est 600.000 milliards de dollars au-dessus de nos têtes. Comment vous maitrisez ça, vous faites respecter, si vous n'avez pas l'Union européenne.
Vous définissez-vous comme un régulateur ?
Je suis libéral. Pas un ultra-libéral. Les ravages de l'ultralibéralisme pratiqués par des gouvernements de gauche et de droite et par beaucoup de fonctionnaires à Bruxelles, on n'a pas fini de les payer. Adam Smith qui était le pape du libéralisme était aussi pour une forme d'éthique, de gouvernance, de morale. J'ai essayé pendant que j'étais en charge des services européens, à travers 41 lois de régulations, un mot qui ne me fait pas peur, de reconstruire une architecture, pour remettre un peu de responsabilité, une morale d'éthique, là où elles avaient disparu.
Quels ont été les freins à Bruxelles, quand vous étiez aux manettes par rapport à votre vision ?
Quand je suis revenu aux affaires européennes, grâce à la confiance de Nicolas Sarkozy, en 2010, dans un poste qu'aucun Français n'avait jamais eu, le marché intérieur, le poste actuel de Thierry Breton, j'ai dit au président de la Commission M. Barroso : je reviens pour changer la ligne. Il faut tirer les leçons de la crise de 2007/2008 qui a été violente, qui a détruit des millions d'emplois, on doit en tirer des leçons. C'est une des raisons du Brexit. Le Brexit, on doit aussi en tirer des leçons. C'est un échec de l'UE. Ceux qui disent à propos du Brexit qu'on doit revenir à « business as usual », que cela a été correctement traité, merci Michel Barnier, ceux-là se trompent. Nous devons enfin tirer les leçons de la désindustrialisation de l'Europe. Nous avons perdu une partie de notre industrie, les britanniques aussi. Mais pas les Allemands, pas les Italiens, pas les Suédois. Il ne faut pas toujours dire que c'est la faute de Bruxelles, c'est aussi parfois notre responsabilité.
Les Français vous connaissent peu sur la scène politique intérieure. Pourriez-vous vous présenter et nous dire quel président vous voulez être ?
Je suis un homme politique, fier de m'être engagé quand j'avais 15 ans derrière le général de Gaulle. C'était un homme exceptionnel, incomparable, le contraire d'un politicien. J'étais dans la mouvance des gaullistes de progrès, sociaux. Cela reste mon engagement. Je suis quelqu'un qui, tout au long de sa vie, assez longue maintenant pour avoir la preuve de ce que je dis, a fait attention à ce qu'il disait, pour ensuite faire ce qu'il a dit. J'ai toujours préféré faire plutôt que polémiquer. Depuis la Savoie, que j'ai gérée pendant 17 ans, j'ai notamment conduit de bout en bout le projet des derniers JO à Albertville et ce serait symbolique si je suis élu président, d'avoir l'honneur d'ouvrir ceux de Paris 2024 comme j'ai conclu ceux d'Albertville.
Jusqu'au Brexit, j'ai toujours essayé de faire et de mettre les gens ensemble. Notre pays a besoin d'une gestion plus collective. Bien sûr, d'un président qui oriente, qui représente, qui réunit, qui rassemble, et d'un parlement qui gouverne, dans le dialogue social, de collectivités locales partenaires de projets nationaux, comme de progrès locaux. Tout ça, on ne l'a pas vu depuis 4 ans. On n'a pas vu ce jeu collectif dont notre pays a besoin. Le président de la République n'a pas la science infuse. Il doit avoir des valeurs : j'en ai. Des convictions, j'en ai. De l'énergie. Je l'ai.
Gaulliste, êtes-vous pour une évolution de la présidentialisation de la Vème République ?
Rien n'oblige le président de la République à agir de façon solitaire et de façon parfois péremptoire. Dans les institutions de la Vème République, rien ne l'y oblige. Je souhaite être un président qui préside, avec un gouvernement qui gouverne. Chacun a sa place. Les problèmes sont importants. Il y a beaucoup de tensions dans ce pays. Les gens sont dos à dos, plutôt que côte à côte. Le président ne peut pas tout faire tout seul. Je regrette une gestion solitaire du pouvoir. Ce n'est pas la bonne manière de gérer ce pays. Il y a trop de problèmes pour que tout vienne d'en haut. Regardez comment le pouvoir sortant a géré la crise sanitaire. Pendant plus d'une année, dans la gestion du Covid, c'était l'administration de l'Etat seulement. On ne faisait pas confiance aux médecins libéraux, aux régions qui ont pourtant trouvé les masques, organisé les centres de vaccination. Je pense que notre pays à beaucoup trop de problèmes, de tensions pour qu'on le gère de cette manière solitaire.
Vous racontez dans votre livre un dialogue avec le britannique Nigel Farage qui vous demandait ce que dirait de Gaulle aujourd'hui à propos de l'Europe et vous lui répondez qu'il mettrait plus l'accent sur l'indépendance de l'Europe.
Je n'ai pas adopté la version de l'Europe de M. Farage qui est un extrémiste de droite et un nationaliste patenté. Je crois à la capacité de l'Europe-puissance. Et ce qui fait une puissance aujourd'hui, c'est une économie, une monnaie, une politique étrangère et une défense. On n'y est pas. On doit aller dans cette direction, tout en respectant les nations. C'est là un point important pour moi, je suis gaulliste, pas nationaliste. Je crois qu'on a besoin des nations pour combattre le nationalisme. Mitterrand a dit un jour, « le nationalisme, c'est la guerre ». Pour le combattre, on a besoin des nations. Il faut respecter ce que représente chaque nation, avec sa langue, sa culture, ses traditions. De Gaulle disait qu'il ne fallait pas que l'Europe « broie les peuples comme dans une purée de marrons ».
Les peuples ne veulent pas être broyés. Ils veulent garder leurs racines. C'est pour cela que c'est compliqué avec Bruxelles. On veut une Europe unie, pas uniforme. Ma conception de l'Europe est là. Je me suis engagé, pour une raison précise : la poignée de mains entre le chancelier allemand Adenauer et le général de Gaulle. J'ai cette photo dans mon bureau. On y voit le regard infiniment respectueux de ces deux géants l'un envers l'autre. Ils se sont dit ce jour-là, on doit se réconcilier après trois guerres. Se réconcilier pour l'avenir, pour construire l'Europe de demain. De Gaulle a toujours été porteur du projet européen, même s'il avait des réserves sur Bruxelles, sur une culture supranationale, il s'en méfiait. Il a mis en œuvre des politiques communes, le marché unique. Je pense qu'aujourd'hui ce qui le préoccuperait, au-delà de l'intérêt national, c'est l'indépendance de notre continent. Qu'il ne soit pas vassalisé, qu'il ne soit pas le sous-traitant des Chinois et des Américains.
Sur l'affaire des sous-marins australiens, comment jugez-vous la réaction de colère française ? Quelle leçon tirez-vous de cet épisode. Faut-il encore compter sur l'OTAN ou se donner les moyens pour que l'Europe ait cette puissance en matière de défense ?
C'est un désastre industriel et diplomatique pour la France que la rupture de ce contrat, dans un jeu mené dans notre dos par des alliés, Américains, Britanniques et Australiens. Ce sont des choses qui ne doivent pas se faire entre alliés. C'est aussi une forme d'affaiblissement pour ceux qui se conduisent ainsi. L'alliance, ce n'est pas l'allégeance et l'alliance cela ne peut pas se faire avec de la méfiance. Dans le très court terme, on va voir ce que va devenir le contrat, comment seront construits ces sous-marins, s'ils seront à propulsion nucléaires ou pas...
Plus gravement, pour les Américains, et cela a dû être le sens de la conversation récente entre le président Macron et le président Biden, pour les Américains et les Anglais, il y a rupture de confiance. Ce n'est pas bon, pour eux non plus. Ce contrat était un bon contrat sur le plan technologique et industriel, mais je pense qu'il a été suivi avec une certaine légèreté sur le plan politique. Il y avait depuis plusieurs mois des signaux négatifs. Du côté du Parlement de Canberra, des inquiétudes, des questions. Cela s'analyse, s'observe et exige des réactions, un travail de conviction et de persuasion. Mon opinion, c'est que c'était un bon contrat industriel, qui n'a pas eu l'accompagnement politique qu'il justifiait compte tenu de son ampleur.
L'Europe doit en tirer des leçons, mais vous parliez de colère française, cela n'a pas été une colère européenne. Méfions-nous des colères, de l'agitation, des incantations d'une manière générale, pour reconstruire un travail collectif au niveau européen. Lorsque j'étais leur ministre en 2004, j'ai dit aux ambassadeurs français que la France n'est pas grande quand elle est arrogante, elle n'est pas forte si elle est solitaire. La France depuis quelques années, cela ne date pas du président actuel, a été arrogante, parfois malgré elle et souvent solitaire. Nous devons reconstruire une action commune à travers une politique européenne, avec des moyens, en termes de renseignements, analyser mieux, mettre des stratèges et des analystes ensemble. Établir des priorités régionales. Qu'est-ce qui nous entoure sur le plan européen : la Russie, le pourtour méditerranéen, l'Afrique. Quel rôle peut-on jouer dans une région, le Pacifique, où nous devons garder une ambition française et européenne ? L'Europe est le premier contributeur au développement dans la zone indo-pacifique, le 1er ou 2ème partenaire commercial de tous les pays qui sont dans cette zone et où la France a des raisons d'être présente. Nous sommes présents dans la zone indo-pacifique, dans l'Océan Indien, avec la Réunion, Mayotte, et au-delà dans le Pacifique, avecdes territoires auxquels nous tenons. C'est l'occasion pour moi de réaffirmer, à quelques semaines d'un référendum, notre attachement à la Nouvelle Calédonie et le souhait qu'on dise clairement que nous souhaitons que les habitants de Nouvelle-Calédonie votent pour le maintien de son rattachement à la République française.
Les Américains disent ne pas souhaiter une nouvelle guerre froide, mais c'est bien ainsi que la Chine a interprété l'affaire des sous-marins qui vont nucléariser la zone. Vous craignez une escalade militaire, une logique d'affrontement entre les Etats-Unis et la Chine au cours des prochaines années ?
Elle est déjà là, technologique, commerciale. J'espère qu'elle ne sera pas autre chose, notamment autour de Taïwan. Il faut éviter que ces deux superpuissances ne soient laissées seules, car s'ils sont seuls, le risque d'affrontement frontal est plus fort. L'Europe doit, avec ses propres valeurs, ses propres ambitions, ses propres intérêts, nombreux dans cette région, s'affirmer et servir au dialogue et d'intermédiation. L'allégeance n'est pas ma définition de l'alliance. Il n'est pas d'actualité de quitter le commandement intégré, mais plutôt qu'on ait une discussion à l'OTAN pour tirer des leçons et rétablir l'équilibre.
Macron avait parlé de « mort cérébrale » de l'Otan... L'histoire des sous-marins conforte-t-elle sa thèse ? C'était un constat un peu incantatoire. Assez mal compris par un certain nombre de nos partenaires. Il y beaucoup de pays européens qui sont très attachés à l'OTAN, qui voient leur protection et leur défense davantage assurée par le grand allié américain. Il faut faire attention à ça. Toute agressivité à l'égard de l'OTAN est contre-productive de mon point de vue quand on veut construire l'Europe de la défense.
Il y a eu de l'agitation de la part de la France ces dernières années, sur ces questions internationales ?
Il y a eu beaucoup de postures, d'incantations. Cela date d'avant, aussi bien en Libye qu'au Liban. Je suis très engagé depuis longtemps sur la question de la défense européenne. Ce qui est écrit dans le traité actuel de l'UE est issu d'un groupe que j'ai présidé au moment de la Constitution de 2005. On avait élaboré les outils de cette défense européenne, le rôle du représentant, la coopération structurée, la clause de solidarité. J'ai beaucoup travaillé au côté du président Juncker au fonds européen de défense, qui pour la première fois mobilise le budget européen pour des enjeux stratégiques et militaires. Je suis très engagé, mais faisons attention aux mots. Il n'y aura pas d'armée européenne. Mais il y aura des opérations extérieures communes. Il faut le faire par étape. Et faire attention aussi, il y a des pays partenaires, en Europe centrale et orientale, en Pologne ou ailleurs qui ont une vision un peu différente de la nôtre. L'influence française ne se décrète pas, elle ne tombe pas du ciel. J'ai géré le Brexit avec beaucoup de temps, beaucoup de respect. Il faut la reconstruire. Cela demandera du temps et de la méthode. Ce sera un des axes de ma présidence.
Peut-on imaginer une défense européenne sans les britanniques ?
Les Anglais ne sont plus dans l'Europe. Ce n'est pas nous qui les avons mis dehors, ce sont eux qui sont partis. Il y a encore des liens, industriels notamment. J'ai négocié le Brexit, selon un mandat fixé par le Parlement, en ayant en tête cette exigence de garder une coopération avec le Royaume-Uni. Mais ils ne sont plus dedans. On ne va pas leur demander la permission pour faire une coopération européenne, des avions de chasse, un char, des bateaux en commun. Il y a plein de choses à faire ensemble du point de vue de la recherche, de l'industrie. Et des opérations militaires extérieures. Étape par étape. Un jour, il faudra négocier un accord de coopération entre le Royaume-Uni et l'UE. Il y a des opérations extérieures qui peuvent intéresser les Britanniques. Ils ont joué un grand rôle dans l'opération Atalante, pour lutter contre les actes de piraterie dans la corne de l'Afrique, ils ont même eu le commandement de cette opération. Il peut arriver, je ne le souhaite pas, que pour notre propre sécurité continentale, on ait une mission à mener en commun. Mais pour cela il faut construire un cadre.
Où en est le couple franco-allemand à l'heure du départ d'Angela Merkel. L'Allemagne et la France ont parfois des divergences importantes, sur le gaz, le nucléaire, la transition énergétique...
N'ayons pas une vision bucolique de la coopération franco-allemande. Elle n'a jamais été spontanée, même du temps de de Gaulle et d'Adenauer. Le seul moment de très grande proximité, cela a été avec Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt, car il y avait une complicité personnelle et amicale entre eux. Mais lors de tous autres mandats, la coopération franco-allemande a connu des tensions, nécessité des dialogues et des confrontations, pour qu'au bout de la route, on considère que l'intérêt des deux pays passait par une position commune. Depuis une dizaine d'années, l'influence allemande domine à Bruxelles et l'influence française a diminué un peu partout. A Bruxelles, concernant la taxonomie qui va classer les énergies vertes, il n'y a aucune raison que l'on accepte que le nucléaire, énergie décarbonée, soit exclue de cette nomenclature, même si les Allemands ne le veulent pas. Nous devrons dire, je dirai si je suis président, que cela ne fonctionne pas comme ça.
Vous président, est-ce que vous construisez de nouveaux EPR.
Je connais les positions de certains écologistes, il y a une diversité entre les plus extrémistes et d'autres plus réalistes. Les Français, il faut leur parler sérieusement. On ne peut pas relever le défi climatique de notre pays sans le nucléaire. Il faut dire la vérité. Je ne suis pas partisan du tout nucléaire. J'ai même lancé le premier grand débat national sur l'énergie et un mix énergétique s'est construit progressivement. Mais on n'atteint pas les objectifs climatiques de l'Accord de Paris et les objectifs européens de neutralité carbone en 2050 sans le nucléaire. Donc oui, je lancerai le plus vite possible la construction de ces 6 réacteurs EPR. Cela ne m'empêchera pas de soutenir la recherche sur les énergies renouvelables. Je suis, par exemple, très engagé sur le photovoltaïque. J'ai lancé dans mon département de la Savoie le premier Institut du solaire, avec 500 chercheurs. Ce qu'ils font est formidable et le développement du photovoltaïque est considérable. Si on couvrait 5% seulement de la surface du désert, on produirait toute l'énergie électrique dont le monde entier à besoin. C'est théorique, car il faut transporter cette énergie et la stocker, ce qui n'est pas facile. Il faut développer en parallèle l'hydrogène, la biomasse, le photovoltaïque. Mais je rappelle aussi que dans un pays qui dépend beaucoup trop du pétrole et des importations, le kilowatt qui pollue le moins, c'est celui qu'on ne produit pas. Il y a encore des réserves considérables d'économies d'énergie.
Quelles sont vos pistes pour relancer l'industrie française dans ce contexte de transition écologique ?
Il n'y pas de projet présidentiel qui ne s'appuie pas sur les exigences liées au défi climatique. Que nous subissions d'ici 25 ans 2 degrés de plus partout, que le climat désertique atteigne le sud de la France, que l'on connaisse tout l'été dans 20 ans des périodes caniculaires très longues, cela change tout. Nos habitudes de cultiver, de construire, de transporter, de produire. J'ai été président d'un département pendant 20 ans, dans une région dont 20% de l'économie dépend de la neige. J'ai été ministre de l'Agriculture et de la pêche. On sait que les vendanges ont été accélérées. J'ai rencontré des pêcheurs à Boulogne qui me disent qu'ils pêchent des poissons qu'ils n'avaient jamais pêché avant et que d'autres disparaissent. Le changement climatique va tout changer. Tout projet présidentiel doit avoir comme projet l'anticipation de ce changement climatique à travers la recherche, pas seulement le photovoltaïque, l'économie circulaire, le véhicule propre, le bâtiment. Mais ma grande différence avec certains idéologues de gauche ou les Verts, c'est que vous ne réussirez pas ce défi climatique contre les gens, avec des punitions et des taxes. Il faut remonter le niveau d'horizon avec les gens. Qu'ils participent. Je suis sûr que c'est possible.
La crise des Gilets Jaunes est partie de la flambée du prix des carburant et de la taxe carbone. Comment concilier l'action pour le climat avec le prix de l'énergie qui monte et une action sociale pour compenser les effets de la transition sur les consommateurs ? Cela coûte très cher.
L'Union européenne a de très grands objectifs, mais les méthodes brutales qui consistent à demander de changer toutes les chaudières et les voitures en quelques années, ce n'est pas réaliste. Ou alors il faut trouver des systèmes simples pour aider à le faire, il faut donner du temps, aider les gens efficacement, que les gens n'aient pas sentiment comme au début de la crise des Gilets Jaunes, qu'on les pressure. Une crise pour laquelle il y avait d'autres raisons, le sentiment qu'ils n'étaient pas respectés, que le Président était trop arrogant. Je veux être le Président qui respecte les gens et les Français et qui fasse respecter la France. Ce sera la ligne bleue, ou la ligne bleu blanc rouge de mon mandat. Faire respecter les Français et la France.
En matière d'énergie, il faut faire attention, nous avons peut-être une crise devant nous, mais quand on parle d'énergie, de fuel, on parle vie quotidienne, de gens obligés d'utiliser leurs voitures dans les zones rurales tant qu'il n'y aura pas de trains ou de transports publics.
Êtes-vous partisan du « quoi qu'il en coûte pour la transition écologique ?
Je me méfie des discours catastrophistes. Il faut prendre du temps, des mesures budgétaires, pour aider les gens à isoler leurs maisons, mais aussi voir le retour sur investissement. Prenez l'isolation thermique, un chantier que je veux amplifier et simplifier : on peut utiliser davantage le partenariat avec les banques qui sont proches des gens. Je veux que les choses se fassent de manière simple pour qu'elles se fassent vraiment. Avec la rénovation thermique, le pays aura moins besoin d'importer d'énergie, cela fera des économies et cela contribuera à augmenter le pouvoir d'achat et donnera du travail à des milliers d'entreprises. C'est gagnant-gagnant. C'est un chantier où il y a un vrai retour sur investissement.
Est-ce que vous prendrez des mesures fiscales pour aider à changer les voitures pour basculer à l'électrique ?
Il faut soutenir la transition du secteur automobile et la filière l'hydrogène, car c'est le seul moyen de stocker l'énergie. Il faut le faire avec l'Allemagne, car il y a des choses, des défis qu'on ne peut relever seul. L'Allemagne y va à fond. Nous devrions y aller ensemble. On a raison de coopérer avec l'Allemagne, mais aussi avec l'Italie ou d'autres pays européens.
Est-ce qu'il ne manque pas d'un ministère de l'industrie et de la recherche ?
La réponse est oui. Dans l'organisation du gouvernement, j'ai quelques idées assez précises pour donner des signaux politiques et remobiliser certains secteurs. Il y aura dans le gouvernement que j'aurais à mettre en place comme Président de la République, un ministre chargé de la sécurité publique, un autre chargé du dialogue et du partenariat avec les collectivités locales et probablement en effet un ministre de la recherche et de l'industrie.
Il y a un vrai déclin de l'Europe dans le domaine des technologies. Les Gafam, c'est 10.000 milliards de capitalisation. L'Europe n'a pas cette puissance de faire émerger des leaders européens ?
Il n'y a pas de bataille perdue, sauf celles que l'on ne mène pas. Pas de fatalité, sauf quand s'il y a du fatalisme. Un homme politique, quand il est candidat à la présidence, n'a pas le droit d'être fataliste. Les industriels n'ont pas été fatalistes quand ils ont fait Airbus, Ariane, Galileo... On a montré un volontarisme européen et on a gagné une forme d'indépendance. Aujourd'hui, les dix premières entreprises technologiques du monde sont chinoises ou américaines. Mais ce n'est pas une fatalité. Il y a des secteurs où on pourra reconstruire cette autonomie européenne et cette liberté européenne.
L'Europe et la France n'ont-elle pas perdu leur souveraineté technologique ? Pendant la crise sanitaire, on a vu des ruptures d'approvisionnement. C'est le cas des semi-conducteurs... Avant tout cela, il y a de la recherche. A Grenoble, j'ai visité le Cyclotron et le CEA et on voit bien que sur les semi-conducteurs, nous avons une bonne recherche qui est en avance. Mais il faut produire plus chez nous, en France et en Europe. On a la capacité de le faire. Y compris de conserver des filières qui sont en voie de disparaître. J'ai eu l'occasion de discuter avec les ouvriers de l'usine électro-métallurgique de Château-Feuillet, en Savoie, qui a fermé, mais qui pourrait rouvrir et se spécialiser sur la filière du silicium. Allons-nous conserver chez nous une filière du silicium en France et en Europe ou être condamnés à acheter des matériaux chinois ?
Que pensez-vous du budget 2022, un budget avec 6% de croissance cette année et 4% l'an prochain, mais aussi des déficits très élevés. On est dans une phase de campagne présidentielle, mais on ne parle pas de la réforme de l'Etat. Que ferez-vous alors que la crise Covid a rendu notre dette peu soutenable ?
J'ai vu le budget qui a été présenté avec des trous. Ce n'est pas un budget sincère, comme cela a été dit par des observateurs impartiaux. On a le sentiment que l'on prépare la réélection du président « quoi qu'il en coûte ». Mais ce sont des dépenses qui sont faites en tirant des chèques sur les générations futures. Il faut faire attention, après une crise sanitaire qui a demandé des dépenses exceptionnelles, il ne faut pas donner le sentiment qu'on distribue à tout va. Le président sortant fait des promesses partout, à Marseille, à Roubaix, comme s'il était au tout début de son mandat. J'ai bien compris qu'il aille à Marseille, mais j'aurais aimé qu'il le fasse dès 2017 pour en évaluer aujourd'hui les résultats.
Concernant la dette, personne ne peut sérieusement faire campagne en disant qu'on ne la remboursera pas. On peut la rembourser dans la durée. Mais je veux mettre en garde. Il y a des évènements extérieurs qui peuvent venir tout bousculer, une autre pandémie, une crise financière, de l'inflation. Il faut faire attention et réformer l'Etat. Il y a des moyens de le faire et d'assurer le même service public. Je suis partisan d'un bon service public, en rémunérant mieux les gens qui y travaillent, les infirmières et les enseignants. Je l'ai dit et nous le ferons. Il y a des moyens en France, comme l'ont fait Laurent Wauquiez ou Valérie Pécresse dans leurs régions, en Auvergne-Rhône-Alpes ou en Ile-de-France, de faire des réformes en offrant un bon service public et en dépensant moins d'argent.
Est-ce que Laurent Wauquiez, qui a renoncé à se présenter à la présidentielle, vous apporte son soutien ?
Ne personnalisons pas les choses. C'est lui qui le dira le moment venu. Nous travaillons ensemble, en confiance sur le fond. Il a fait dans sa grande région, qui est aussi la mienne, des choses qu'il avait dites, pour mieux gérer le budget régional. Pour mieux gérer l'Etat et réduire cette dette, il faut de la croissance, une réforme du partenariat avec les collectivités locales, réformer les retraites, lutter contre la fraude fiscale et sociale, retrouver de l'argent public qui n'est pas utilisé correctement.
Etes-vous confiant sur le fait d'apparaître comme l'homme du recours à droite ?
J'ai mes méthodes. Je pense que je suis capable de gagner la confiance dans ma famille politique que je n'ai jamais quittée où j'ai toujours été libre et loyal. Les militants, qui comptent beaucoup et qui décideront, sont au coeur du choix des candidats et moi j'ai besoin de ma famille politique.
Le centre de gravité de l'échiquier politique de la France est très à droite, mais la droite ne semble pas être en capacité de se qualifier au second tour.
C'est un paradoxe, parce qu'il n'y a pas pour le moment d'incarnation, dans une seule personne pour porter notre projet. Nous avons un projet politique qui correspond à l'attente des Français, nous avons gagné les dernières élections locales, départementales, régionales, gagné des militants, des jeunes, on l'a vu à Vincennes, qui sont enthousiastes. Nous avons des personnalités capables de constituer l'équipe de France pour gagner cette présidentielle.
La campagne de Sarkozy de 2007 était un modèle ?
Je me sens capable de recréer cette ambiance-là. Comme il n'y a pas d'homme providentiel, il faut un processus. Nous y sommes, il faut être patient. Je fais confiance aux militants de ma famille politique.
Vous aviez écrit en 2014 un livre intitulé : « se reposer ou être libre ». C'est une forme de perspective...
C'est une phrase de Périclès qui parle aux Athéniens, je l'ai choisie comme titre d'un livre pour parler de sujets où la liberté et l'indépendance des Européens est en cause. Les sujets de la démographie, de l'industrie, du marché unique, où nous devons être ensemble. Pour être libre, il ne faut pas se reposer sur ses lauriers et il faut être ensemble. Pour notre pays. Ce qu'on ne fera pas pour la France, personne ne viendra le faire à notre place. C'est pareil pour le continent européen.
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