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"Je ne pouvais pas rester avec un homme qui commandait sur Amazon" : quand l’écologie s’immisce dans le couple

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"Je ne pouvais pas rester avec un homme qui commandait sur Amazon" : quand l’écologie s’immisce dans le couple
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À les entendre, les candidats à la présidentielle sont tous écolos. Pas une enseigne de grande distribution qui n’ait encore sa gamme bio. Les grands groupes soignent leur image verte. L’écologie est partout. Y compris, de façon plus surprenante, au cœur des couples. «Depuis le nuage de Tchernobyl, la question environnementale est devenue une question globale, très “macro”, mais en même temps, elle reste une question très intime car elle touche au quotidien, à notre façon de vivre par rapport à la nature, aux animaux. Bref au sens profond de la vie», analyse Marie Donzel, consultante en innovation sociale chez AlterNego.

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Se motiver mutuellement

Au début de sa relation, se souvient Vanessa, Rouennaise de 43 ans, elle avait de gros doutes. «Je ne pensais pas pouvoir rester avec un homme qui commandait sur Amazon. Cela entrait en conflit avec mes convictions profondes», explique-t-elle, tant pour les conditions de travail des employés que pour le bilan carbone ou le modèle de société déshumanisée qui y sont associés. Au fil du temps pourtant, il finit par s’aligner sur ses positions. «Sans doute pour me garder, au moins dans un premier temps !», plaisante-t-elle. Mais aujourd’hui, le compagnon roule à vélo électrique, a cessé ses achats en ligne… et a fait une croix sur les pâtes à tartiner composées d’huile de palme, cause de déforestation.

Hélène, trentenaire, habitait en banlieue parisienne jusqu’au premier confinement de mars 2020, qu’elle décide de passer avec son amoureux. Ensemble, ils décident peu à peu d’accélérer leur départ de l’Île-de-France, et s’installent à Nantes. Dans cette terre écolocompatible, le couple met vite en place une série de mesures quotidiennes, comme faire ses courses en vrac, se déplacer à vélo ou fabriquer ses propres cosmétiques. Et ils y vont franchement ! Principale implication pour eux : «Tous nos achats sont désormais réfléchis. L’ordinateur et les tablettes sont achetés reconditionnés, nos fringues sont de seconde main, ou je les couds moi-même. Cette année, j’ai même fait un sapin de Noël en carton, précise Hélène. Notre idée est de ne pas aller au plus simple, mais de chercher des alternatives. Par exemple, nous ne sommes pas contre nous faire livrer de temps en temps, mais nous le faisons avec une coopérative de livreurs à vélo qui ont choisi leur mode de rémunération, et non avec Uber Eats.»

Hélène estime qu’avoir été en couple a dynamisé sa transition écologique. «Je ne suis pas sûre que j’aurais développé autant de choses si rapidement sans mon copain. On en discute énormément. Tout cela m’apporte, parce que je partage ces changements avec lui», analyse-t-elle. Vanessa confirme. «À deux, il y a une dynamique, on se soutient, mais on se déculpabilise aussi», reconnaît-elle. Car bien qu’elle fasse de lourdes concessions d’énergie et de temps pour verdir ses trajets pendulaires vers Paris, il lui arrive parfois aussi de craquer pour un achat compulsif. Pour elle, le vrai problème se trouve plutôt du côté des enfants de son compagnon. «J’ai beau expliquer à sa fille pourquoi acheter une coque de téléphone à 5 euros sur Amazon n’a pas de sens, elle s’en fiche.» Son fils, lui, ne comprend pas le choix d’un vélo électrique.

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Trouver un consensus

Car sans surprise, la transition écologique au sein des unions - qui prennent parfois la forme de familles recomposées - peut générer des tensions. «Avant toute chose, le couple est une relation. L’écologie peut s’avérer une source de conflictualité parmi d’autres, analyse Marie Donzel. Ce que je préconise, c’est de davantage parler de répartition et de faire ensemble. Cuisiner ensemble, ce n’est pas la même chose que de préparer les menus pour toute la famille. Cela marche aussi pour laver la voiture, trier ses déchets et acheter en vrac». Martin* et Stéphanie, quarantenaires parisiens en pleine transition écologique, ne partagent pas la même vision des vacances. Leur secret consiste à discuter jusqu’à trouver un consensus. «Je ne suis pas prête à me dire que je ne prendrai plus que trois fois l’avion dans ma vie, ça me rend triste», reconnaît Stéphanie. Alors, ils sont tombés d’accord : «Dès qu’on peut faire autrement, on le fait et, puisque ce sont les décollages et atterrissages qui sont les moments les plus polluants, on ne va jamais opter pour un week-end en Europe, mais pour un long et beau voyage, et très rarement», explique Martin.

Répartir les tâches

Ces efforts sont louables, mais il existe un revers à la médaille. La charge mentale des femmes, une fois encore au cœur du couple qui verdit. Les sociologues Michèle Lalanne et Nathalie Lapeyre ont ainsi montré que le recours aux couches lavables - très chronophage - reposait sur les femmes. «La révolution de l’écologie n’est pas la révolution de l’égalité», résume Marie Donzel. L’écologie domestique est encore davantage l’affaire des femmes que des hommes dans l’idée d’une prolongation des dynamiques du couple actuel, traversé encore par une inégale répartition des tâches domestiques (70 % de ces tâches sont effectuées par les femmes). Hélène le reconnaît : comme les horaires de son conjoint ne sont pas compatibles avec l’ouverture des magasins, c’est elle qui fait les courses. «Acheter du bio, du vrac, trier ses déchets, remplacer les mousseurs de robinet revient à un travail invisibilisé qui prend pourtant du temps, de l’énergie et de l’argent aux femmes», poursuit la consultante.

Anne-Sophie Pasquet, naturopathe, le voit auprès de ses clientes. Elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir manger moins de viande, un choix pas toujours simple en famille : «Entre les conjoints qui ont peur d’avoir faim et les doubles menus à cuisiner», la naturopathe donne quelques conseils pour remplacer les recettes habituelles avec de la simili-viande, et ainsi satisfaire tout le monde. Stéphanie, mère active de trois enfants, a accepté de moins manger de viande à la demande de son conjoint - devenu végétarien par souci écologique -, mais c’est elle qui imagine les menus… Lucide, la chaîne de magasins bio La Fourche, dont 85 % de ses clients sont des clientes, a réalisé une étude. Les résultats sont significatifs : 71 % des clients estiment que les engagements écologiques sont partagés dans le couple. Mais dans la réalité, il existe «une vraie différence de perception et d’engagement réel : les femmes sont systématiquement à l’initiative des changements d’habitudes au sein du foyer», révèle l’étude.

«Si l’on se place dans une perspective historique, ce qui a libéré du temps aux femmes, ce sont les appareils électroménagers ! Malheureusement, ils sont générateurs de pollution, donc ce sont aujourd’hui des choix “questionnables”», renchérit Magali Trelohan, enseignante-chercheure en marketing social. Ainsi, «réduire ses déchets avec les couches lavables, moins utiliser les appareils électroménagers ou ne plus acheter de plats préparés, cela prend du temps aux femmes. Mais on peut aussi s’engager autrement, par le biais d’une association, par exemple, en valorisant dans la sphère publique les compétences acquises dans la sphère domestique», glisse la chercheuse.

L’écologie domestique participe aussi à renforcer les inégalités financières : «Les femmes ont un argent de flux qu’elles dépensent en consommable, tandis que les hommes ont un argent de capitalisation. Le choix du bio pèse donc plutôt sur le porte-monnaie des femmes», souligne Marie Donzel. Certaines décisions restent l’apanage des hommes, par construction culturelle, comme le choix d’une voiture hybride ou la décision de changer le chauffage. C’est le cas dans le couple de Stéphanie et Martin. Après avoir épluché les rapports du Giec montrant que les plus grosses émissions en France étaient issues du chauffage, des déplacements et de l’alimentation, c’est lui qui a proposé d’opter pour de l’énergie renouvelable et du biogaz.

À écouter : le podcast de la rédaction

Une affaire de femmes

Mais que l’écologie domestique soit partiellement genrée n’étonne pas Magali Trelohan : «C’est assez logique. Par leur éducation reçue, les femmes se préoccupent plus des autres, de la nature, de l’environnement.» D’ailleurs, l’écoféminisme, qui affirme que les destructions environnementales et les oppressions subies par les femmes reposent sur un même système, revient en force dans le débat public. «Ce mouvement, basé sur l’idée de partage, de justice et d’équité, ne fonctionne que si les structures patriarcales tombent», estime la philosophe Jeanne Burgart Goutal, auteure d’Être écoféministe (Éditions L’échappée). Mais attention, dès 1975, l’écoféministe américaine Rosemary Radford Ruether mettait en garde contre le risque que les femmes soient enfermées dans le rôle de sauveuses de la planète chargées de réparer le chaos planétaire après s’être occupées de celui de la maison. Une mise en garde encore d’actualité : l’engagement écologique - y compris dans le couple - devrait toujours se conjuguer avec l’émancipation sociale des femmes.

*Le prénom a été changé.

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