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IMMERSION : comment fonctionne le système des All Blacks et du rugby néo-zélandais ?

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IMMERSION : comment fonctionne le système des All Blacks et du rugby néo-zélandais ?
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Interview - Super Rugby. Des bancs de la fac de Nanterre aux Hurricanes, l’incroyable destin de Raphaël LagardeMaintenant que tout le monde a enfin pris conscience de la situation de l’équipe au maillot du coq, ainsi que la double leçon de rugby qu’elle vient de recevoir de la part de l’équipe au black jersey, il serait temps de regarder de plus près comment fonctionne le système All Black dans son ensemble. J’ai été impliqué durant l’édition 2017 du Super Rugby au sein des Hurricanes. Durant tout ce temps, et au-delà de la tâche qui m’était confiée, j’ai pu poser les questions qu’il faut et suis allé sur le terrain pour COMPRENDRE !

Je ne parlerai que de ce que j’ai vu ou « touché », vous comprendrez donc que certains points seront manquants comme l’organisation de l’école de Rugby. Enfin, pas de comparaison avec le système français : chacun sera libre de se faire sa propre idée par rapport à ses connaissances et constats. Pour commencer, présentons les différents championnats de la Nouvelle-Zélande. Dans l’ordre du niveau le « plus bas » au « plus haut », nous avons : Club Rugby, Mitre 10 Cup, Super Rugby, All Blacks. Il n’y a aucune relégation entre les niveaux.

Club Rugby

Le Club Rugby est le premier niveau de compétition entièrement amateur, aucun joueur n’est payé : pas même un défraiement, une enveloppe sous la table de quelques centaines de $/feuille de match. C’est un championnat régional, donc les clubs d’une même région s’affrontent et à la fin il y a un vainqueur de la région... et ça s’arrête là. A Wellington (où j’étais), nous somme dans la région de Wellington et le championnat compte 16 équipes. Chaque club a son école de rugby (et ce sont les seuls clubs à en avoir), ses catégories juniors, féminines, moins de 85kg, équipe réserve, équipe 1 etc.

Mitre 10 Cup

La Mitre 10 Cup est le premier championnat professionnel ou semi-professionnel national, qui s’étend sur tout le pays. Il ne dure que de mi-août à fin octobre (13 semaines de championnat prévues). Les joueurs sont payés et sous contrat uniquement sur la durée du championnat (présaison et saison) soit environ 3-4 mois. D’un club à un autre (14 clubs), les salaires varient (moyens financiers et ancienneté/popularité/expérience du joueur) mais les joueurs gagnent suffisamment pour vivre une année. Par exemple, aux Lions de Wellington, le plus petit salaire sur une saison est de 20 000$ (le revenu minimum en NZ s’élève à 2835$ brut/mois, soit 1657.40€). On peut vivre correctement si on n’a pas une vie trop bling-bling (mais ça ne dure pas longtemps, on va y venir plus tard). Chaque équipe a sa propre Academy qui peut correspondre à un Centre de Formation mais qui ne fonctionne pas du tout comme ceux en France, je l’expliquerai plus loin.

Super Rugby

Championnat que tout le monde connait. C’est un championnat international, car il s'étend actuellement sur cinq pays. C’est un championnat également professionnel, qui commence fin février (la présaison débute fin novembre/début décembre) jusqu’à début août. La Nouvelle-Zélande compte cinq équipes ou franchises. Encore une fois, les salaires varient également, encore plus en fonction de l’ancienneté/popularité/expérience du joueur mais également s'il s'agit d'un All Black.

Les All Blacks

Les All Blacks ! Bien plus qu’une équipe nationale. Quand vous êtes immergé dans le pays et que vous côtoyez les joueurs qui y sont ou qui veulent l’atteindre, vous comprenez que c’est bien plus qu’une équipe. C’est assez difficile à décrire avec des mots, il faut le vivre pour le ressentir et le voir. Je pense que je n’ai pas besoin de faire un long paragraphe ici mais pour faire simple, les joueurs All Blacks sont sous contrat fédéral, j’en expliquerai davantage sur ces fameux contrats fédéraux.


Maintenant voyons comment un joueur arrive chez les Blacks en partant du début :

Je vous ai dit que le joueur reste lié à son club de Club Rugby… Sachez qu’à n’importe quel moment de la saison, un joueur peut retourner jouer en Club Rugby, même si c’est un All Black. Le Club Rugby et le Super Rugby ont lieu en même temps et quand un joueur n’est pas retenu en Super Rugby, il peut aller jouer en Club Rugby. Ça donne une idée du niveau qu’on peut retrouver en Club Rugby.

Que peut-on tirer de tout ça ?

Pour moi, je vois que si un joueur veut devenir professionnel à plein temps il va falloir travailler dur (et c’est une vérité, tous les joueurs vous le diront) car il y a beaucoup de talents dans ce pays. Mais tout est bien organisé pour que le joueur exploite au maximum son potentiel et ne se voit pas pousser des ailes : qualité des staffs, pas d’aménagement des études avec le sportif etc. Le fait que l’emploi du temps du joueur ne soit pas aménagé lui permet et l'oblige à développer sa vie extra-sportive : finaliser ses études. Tous vous le diront là-bas : « nous sommes avant tout dans le développement de l’individu que de l’athlète ».

IMMERSION : comment fonctionne le système des All Blacks et du rugby néo-zélandais ?

Aussi, chaque joueur de rugby rêve de porter le maillot de son équipe de Super Rugby favorite. Les franchises de Super Rugby ne s’organisent qu’autour de l’équipe professionnelle : il n’y a pas d’école de rugby, ou de centre de formation. Il y a des camps d’entrainements U17 jusqu’à U20 (1 à 2 semaines par saison) pour former les jeunes joueurs au monde professionnel mais aucun d’entre eux n’est assuré de rester plusieurs années en signant un contrat ou engagement, ils peuvent être appelés seulement pour un match. C’est à eux de travailler dur pour montrer qu’ils méritent d’être là et qu’ils méritent de porter le maillot de la franchise.

Je trouve donc cette organisation vraiment intelligente car un jeune joueur (U6, U8 etc.) ne se verra jamais porter le maillot d’une franchise de Super Rugby en intégrant l’école de rugby, car il n’y en a pas. Le jour où il le portera, c’est qu’il l’aura mérité. Les joueurs sont très matures car très vite mis face à leurs responsabilités. La plupart des joueurs intègrent la Mitre 10 Cup et le Super Rugby (dans la foulée) à 18 ans et les Blacks à 19-20 ans. Quand j’étais aux Hurricanes, je pense que l’âge moyen de l’équipe était de 23-24 ans.

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Les contrats fédéraux késako ?

Les joueurs All Blacks sont donc sous contrat avec leur fédération. Qu’est-ce que cela représente ? Dans un premier temps, c’est un contrat supplémentaire donc une source de revenus en plus pour les joueurs. A noter que la fédération rembourse les salaires venant la Mitre 10 Cup directement aux clubs. En gros, les joueurs sont toujours payés par leur club de Mitre 10 Cup et la fédération dédommage les clubs en remboursant les salaires. Ces contrats fédéraux permettent d’avoir un engagement du joueur envers la sélection et la fédération : pour être éligible avec l’équipe, il s’engage à rester sur le territoire néo-zélandais. Chaque fois qu’un joueur prolonge son contrat avec la fédération, il prolonge de la même durée avec sa franchise de Super Rugby. Si vous ne l’avez pas compris, les joueurs sont très attachés à leur franchise et sont très souvent les joueurs d’un seul club. Les transferts sont là mais pas aussi importants qu’en France.

Est-ce que ces contrats donnent des passes-droits aux joueurs ou autres avantages ? Non ! Evidemment, le staff des All Blacks a l’œil sur les performances des joueurs de la sélection mais à aucun moment il y a une pression qui est mise sur les franchises vis-à-vis de ses/ces joueurs. Comme il n’y a pas doublon, les joueurs ne seront jamais manquants à l’appel d’un match de Super Rugby. Juste lors de la Mitre 10 Cup, qui a lieu en même temps que la fenêtre internationale, les joueurs peuvent retourner avec leur club s’ils ne sont pas dans les 23 pour le week-end et que le match international (Bledisloe Cup ou 4 Nations) a lieu en NZ (en une heure d’avion, vous pouvez être où vous voulez dans le pays). La seule chose imposée à ces joueurs est un repos de 12 semaines après la tournée en Europe, donc les joueurs rejoignent leur franchise vers la fin de la présaison.

Question que j’ai posée et que beaucoup de gens posent et pensent en Europe (ils me l’ont dit là-bas) : est-ce que le préparateur physique des All Blacks, Dr Nic Gill, donne des directives ? Eh bien encore une fois, non. Il y a énormément d’échanges et Nic Gill s’assure que tout tourne bien. Il ne dit pas aux staffs ce qu’ils doivent faire car tout le monde travaille dans le même sens (les All Blacks) avec des contenus similaires. Il n’y a pas de disparité comme en France sur la formation des staffs, j’en dirai un peu plus plus loin.

La formation des staffs

Cette dernière est très exigeante là-bas, ce n’est pas un diplôme de 6 mois. Il faut aller à l’Université. Pour parler du domaine qui me concerne plus, tous les préparateurs physiques sont universitaires et ont au minimum cinq années de formation. Enfin, un joueur ne rangent pas les crampons et enfilent le manteau d’entraîneur du jour au lendemain. Comme je l’ai dit, il faut des diplômes et on demande plus de « maturité », d’expérience en tant qu’entraineur pour coacher en Super Rugby. Par ailleurs, les staffs grappillent les échelons au même titre que les joueurs : Club Rugby, Mitre 10, Super Rugby, All Blacks. Pour vous donner un exemple : Rodney So'oialo a réalisé sa première saison en tant que coach avec les Lions de Wellington lors la Mitre 10 Cup venant de finir. Evidemment il y a toujours des cas à part qui ont eu une opportunité en se trouvant au bon endroit au bon moment. Là-bas, tout est fait pour une évolution commune dans le rugby : joueurs et staffs.


Les joueurs peuvent jouer avec une équipe une semaine sans jamais s’entrainer avec et jouer avec une autre la semaine qui suit ?

Pour ceux qui ne se sont pas fait la remarque, les joueurs ont cette capacité à retourner jouer avec une équipe avec laquelle ils ne s’entrainent jamais juste pour un match. Et c’est ce qu’on ressent quand on voit jouer les All Blacks : une facilité à jouer ensemble et se trouver sur le terrain (au-delà des qualités techniques). Comment ? Il faut encore une fois tout reprendre depuis le début : des joueurs peuvent commencer à s’affronter dans une même région en Club Rugby ou même jouer ensemble. S’entrainer ensemble à l’Academy. Par la suite, ils peuvent se retrouver à jouer ensemble en Mitre 10 Cup. Puis à jouer ensemble ou s’affronter en Super Rugby. Pour enfin se retrouver ensemble chez les All Blacks. A travers toute leur carrière, les joueurs jouent ensemble ou s’affrontent au travers des différents championnats avec différentes équipes. Donc, ils se connaissent par cœur…

A titre d’exemple, avec l’équipe U20 des Hurricanes, équipe composée 2-3 jours avant le match avec des joueurs de droite à gauche, nous avons battu l’équipe U20 de l’Argentine. Pour preuve que les échanges sont sains, chaque saison Nic Gill et le kiné des Blacks, Pete Gallagher, rendent visite à toutes les franchises pour discuter du fonctionnement et des contenus d’entraînement dans un seul et unique but de partage qui sert à tout le monde…

La place de l’humain

A travers toute cette grosse machinerie, vous seriez très impressionnés de l’équilibre qu’il y a entre l’importance du maillot/club et du joueur. Pour le joueur, le club est une institution et le maillot représente un héritage qu’il se doit d’honorer. Et le club honore tous les grands joueurs ayant porté le maillot. Chaque franchise a ses standings du Fifty Club et Centurions :

Chaque fois qu’un joueur honore son « arrivée » dans les standings, il y a une cérémonie après le match, et la veille du match pour les Centurions pour une remise de maillot. Le joueur concerné a également un maillot avec un flocage spécial précisant quel cap il passe, la date et le match et il peut garder le maillot. J’ai pu être là-bas lors de la 100ème cap de Julian Savea, lors de la cérémonie de la veille de match, sa mère lui a remis le maillot. C’était touchant de voir le « Bus » redevenir un petit garçon. Il a même eu le droit à un haka après le match dans le vestiaire, c’est très impressionnant quand vous êtes face à eux et à moins de 5 mètres, moment unique ! En plus de cela chaque joueur a sur son casier la date et le match de sa première cap.

Pour l'anecdote, lorsque mon père est venu me voir, il m’a proposé d’aller au musée du Rugby, je lui ai dit qu’il viendrait au camp d’entrainement pour voir ce que c’est qu’un vrai musée du Rugby.

Crédit vidéo : Raphael Lagarde

Il faut savoir qu’une saison de Super Rugby compte 15 matchs hors phases finales, donc atteindre 50 et 100 caps (ce qui paraître peu pour certains) peut prendre du temps et à l’inverse être très impressionnant pour certains joueurs : Cory Jane a honoré sa 100ème cap lors de la finale 2016 à 34 ans et Julian Savea sa 100ème à 27 ans…

Petite parenthèse sur un problème qui fait fort débat en ce moment : la commotion cérébrale. La fédération néo-zélandaise a un protocole avec étapes progressives de retour à la performance après qu’un joueur soit touché par une commotion. Quand tout va bien, le protocole dure 7 jours donc un joueur sera ménagé durant ces 7 jours. Il y a une vraie protection de l’homme car ils pensent à lui sur le long, très long terme. Ils ne veulent pas que le joueur devienne dépressif ou pire après sa carrière, suite à toutes les répercussions de ce type de blessures.

Le Club Rugby

Je reviens un peu au début sur le Club Rugby où je vous disais que les joueurs de Super Rugby et même les All Blacks reviennent jouer avec leur club de Club Rugby. Et ça en dit long sur le niveau qu’on peut y voir tous les week ends…à mes débuts en NZ, je n’allais pas regarder les matchs car je m’attendais à voir un rugby de Fed 3/Honneur en France, un rugby pâté comme je l’appelle, tout ce que je n’aime pas. Un jour, je suis allé voir un match et je me suis fait la réflexion que c’était 10 fois mieux que le Top 14. C’est par la suite que j’ai appris que les joueurs pros revenaient jouer à ce niveau. Pour les gens là-bas, c’est normal car ça a toujours été comme ça mais quand j’en parlais et qu’ils prenaient du recul dessus, ils me disaient que j’avais raison quand on regarde qu’un All Black retourne jouer chez les amateurs, c’est fou. Et honnêtement la majeure partie des joueurs de Top 14 et Pro D2 ne pourrait pas aller jouer en Club Rugby.

A noter que tous les matchs ont lieu le samedi, comme ça les joueurs peuvent faire la fête et « récupérer » le dimanche. Donc pas de problème pour aller travailler le lundi…

Le rugby NZ, une institution

J’ai eu plusieurs conversations avec le staff sur les comparaisons avec le modèle français et le Top 14. Souvent, ils me demandaient si je préfère le Top 14 ou le Super Rugby mais franchement, d’un certain point de vue, on peut se dire que ce n’est clairement pas le même sport. Je discutais aussi de leur organisation, le fait qu’il n’y ait pas de relégation, les clubs sont comme des institutions. Une continuité dans l’éducation et la formation de l’individu. Pour moi, une franchise est la suite d’un cursus scolaire comme l’Université.

Quelques anecdotes pour confirmer la suprématie

Je vous parlais de la maturité et la jeunesse des effectifs. Voici quelques exemples qui le prouvent :

VIDEO. Mitre 10 Cup - Asafo Aumua, le talonneur qui mange des ailiers au petit-déjeuner a encore frappé


Conclusion

Pour tous ceux qui vont hurler au dopage en voyant les performances des All Blacks mais qui crieraient au French Flair si la France faisait la même chose : il suffit d’aller voir comment ça se passe sur place et de voir comment on forge un athlète avec une insatiabilité à être le meilleur de ce qu’il peut être. Un voyage de 19.321,33 km pour constater et comprendre pourquoi ce sont les meilleurs. Une fois la compréhension acquise vous verrez que c’est juste logique.

Le principal mot d’ordre qu’y est transmis là-bas est simple : « You can have results or excuses but not both ». Tu peux avoir des résultats ou des excuses, mais pas les deux.