Matrix, premier du nom, est sorti en 1999. A la fin d'une décennie folle, marquée par l'arrivée puis la démocratisation d'Internet et du web. A l'époque, notre préoccupation vis-à-vis des nouvelles technologies, c'était le futur bogue de l'an 2000, qui risquait de bloquer les ordinateurs et d'entraîner une mini-apocalypse. Mais à part dans certaines œuvres de science-fiction, l'IA, la réalité virtuelle et la simulation du monde n'étaient absolument pas des sujets de réflexion.
Reprenant les thèmes abordés dans plusieurs romans et films du genre sortis quelques années voire décennies auparavant, comme Dark City, Total Recall, The Minority Report, Neuromancer, Le Samouraï virtuel (Snow Crash), Ubik, Terminator et 2001, l'Odyssée de l'espace, Matrix aborde le fantasme de l'apocalypse provoquée par les machines. Dans un film-synthèse, au style cyberpunk, futuriste et sur fond de musique électro.
20 ans plus tard, alors que sort le 4e opus (The Matrix Resurrections) de la saga, force est de constater que plusieurs prédictions se sont réalisées, ou semblent sur le point de l'être. Nous ne vivons pas dans une simulation (quoique), mais le premier Matrix résonne étrangement aujourd'hui. Et certaines technologies imaginées ne sont plus de la science-fiction.
1. La réalité virtuelle simulera le monde
Matrix et ses suites décrivent un futur où les humains, asservis par les machines, vivent dans un monde simulé. Une idée fortement inspirée de Dark City (Alex Proyas, 1998), un film où des extraterrestres font des expériences sur nous en nous faisant vivre dans une ville virtuelle, avec un scénario différent chaque jour. Dans Matrix, ce sont des machines qui créent un univers virtuel ; pas pour mener des expériences, mais pour maintenir en vie les humains, qu’ils utilisent comme sources d’énergie.
Des millions de personnes connectées dans un univers simulé, où elles se divertissent, travaillent, consomment, se rencontrent, coexistent, interagissent... Ce concept ne vous rappelle-t-il pas celui du “métavers”, dont tout le monde parle depuis plusieurs mois ? Nos smartphones nous arrachent déjà à notre réalité, et les casques de réalité virtuelle (VR) se démocratisent peu à peu. Et désormais, la nouvelle lubie de la Silicon Valley, c’est de nous faire avaler une pilule bleue pour nous entraîner dans un monde virtuel.
Dans Matrix, les humains n’ont pas conscience de vivre dans la matrice, et leurs crânes sont reliés à une interface homme-machine invasive. Dans la réalité, nous n’en sommes encore qu’aux casques de VR, et ceux-ci restent perfectibles. Difficile d’ignorer le monde réel qui nous entoure. Mais l’immersion est de plus en plus efficace, et devrait l’être toujours plus dans les années qui viennent.
Le fantasme technologique du métavers, qui remonte aux romans Simulacron (Daniel F. Galouye, 1964), Neuromancer (1984) et Snow Crash (Neal Stephenson, 1993), et que l’on retrouve dans le récent film de Steven Spielberg, Ready Player One (2018), se concrétise aussi peu à peu. 18 ans après Second Life, le créateur de Facebook, Mark Zuckerberg, a lancé, début décembre, une version bêta de Horizon Worlds, une plateforme sociale en réalité virtuelle. Sa nouvelle entreprise, Meta, et sa filiale, Meta Quest (ex-Oculus) décrivent Horizon comme un “univers en VR en constante évolution que vous pouvez explorer et dans lequel vous pouvez jouer, créer et explorer des communautés”. D’autres firmes, comme Disney et Microsoft, conçoivent aussi leurs propres métavers.
Avec Horizon, on est bien sûr très loin d’un monde simulé si réel que l’on risquerait de mourir en vrai si l’on se faisait tirer (virtuellement) dessus, et où l’on pourrait vivre indéfiniment. On est aussi loin d’une simulation conçue et contrôlée par une IA, avec des “agents” en costume et lunettes noires qui la protègent arme à la main. Dans notre monde, tout repose sur des humains, dont les entreprises capitalistes ont pour but de nous faire dépenser de l’argent dans une simple transposition VR du Web. Et la VR reste, encore une fois, perfectible.
Mais en parallèle, le travail se pratique en ligne depuis le Covid (Facebook / Méta a d'ailleurs créé un “Horizon Workrooms” à cet effet), et les rencontres sont de plus en plus virtuelles : les usages évoluent, et le virtuel nous semble de plus en plus “pratique”. Alors pourquoi pas y plonger totalement demain, en l'utilisant aussi pour notre vie sociale ? Jusqu’à y créer un monde “meilleur” que le nôtre, à la façon de la pilule bleue de Matrix ?
2. Nos cerveaux pourront être connectés aux ordinateurs
Dans Matrix, les humains (synthétiques, créés par les machines) sont connectés à la matrice via le “headjack”, une interface neuronale qui s’accroche derrière le crâne, et qui permet d’y implanter une “sonde de données”. Elles servent à les “brancher” au monde simulé par l’IA qui a pris le contrôle de la planète, mais aussi à télécharger / uploader des données et à modifier leur mémoire. Les résistants, les “redpills”, l’utilisent aussi de façon détournée pour rendre leurs membres plus performants et plus forts.
Dans la réalité, aucun appareil ne permet de télécharger / uploader des données dans le cerveau humain, mais il en existe déjà pour interagir par la pensée avec des machines. Les "interfaces homme - machine", que développent des chercheurs un peu partout dans le monde, permettent notamment à des patients de commander des membres artificiels ou des machines. Le système BrainGate transforme ainsi les tétraplégiques en chevaliers Jedi, en leur permettant de contrôler, à distance, des objets. Une puce, implantée dans le cerveau, convertit l’intention de l’utilisateur en commandes informatiques, destinées à un ordinateur. Ainsi, la personne handicapée peut-elle déplacer des objets par la pensée, allumer la lumière, surfer sur Internet ou zapper sur sa télé.
D'autres interfaces cérébrales non invasives (sans implant, juste en apposant des électrodes sur le cuir chevelu), que l'on appelle aussi "interfaces ordinateur-cerveau non invasives" ou "interfaces neuronales directes" (IND), permettent aux handicapés de bouger leurs fauteuils roulants par la pensée. La "prothèse intégrale" de Miguel Nicolelis permet de son côté aux paraplégiques de marcher - en commandant des exosquelettes, via des impulsions nerveuses captées par des électrodes placées sur le crâne.
Étape suivante : le projet fou, mais de plus en plus concret, d’Elon Musk, baptisé Neuralink. L’idée : “coller” de minuscules puces sur nos neurones, en les faisant passer par nos veines, pour établir un “lien neuronal’ avec les ordinateurs. L’objectif : améliorer notre mémoire, et nous permettre de diriger les appareils électroniques par la pensée. Cette technologie permettrait de restaurer les fonctions cérébrales et motrices en cas de lésions à la moelle épinière, mais aussi de le coupler à une IA pour “booster” le potentiel de notre cerveau. Jusqu’à nous rendre plus intelligents.
Selon Elon Musk, dans le futur, nous pourrions même un jour utiliser une telle technologie pour télécharger et sauvegarder nos souvenirs sur un disque dur, ou pour uploader de nouvelles données dans un but thérapeutique ou transhumain. Nous permettra-t-elle aussi de vivre pleinement dans un univers virtuel ? Pour l’instant, le premier implant de Neuralink, le N1 Link, à permis à un singe de jouer à Pong à l’aide de ses seules ondes cérébrales. Et l’objectif à moyen terme d’Elon Musk reste de permettre aux personnes paralysées de surfer, d’envoyer des SMS, de jouer à des jeux vidéo, de dessiner ou d’écrire par la pensée. Cela reste donc encore plutôt modeste. Mais un pas semble bel et bien avoir déjà été franchi.
3. Le corps humain pourra servir de batterie
Dans Matrix, les humains asservis, les “bluepills”, sont connectés à la matrice jusqu’à leur mort, dans des centrales électriques. Car les machines s’en servent principalement comme d’une source d’énergie, pour elles-mêmes et pour continuer de générer la matrice. Une idée qui paraissait folle en 1999. Sauf que récemment, des chercheurs du Colorado ont créé un dispositif portable qui transforme le corps humain en batterie neurobiologique.
Cette invention, le Thermoelectric generator (TEG), peut convertir une chaleur de faible intensité en électricité. Un TEG devrait à terme pouvoir être porté comme une bague, un bracelet. Ou être transposé dans n’importe quel accessoire touchant le corps humain. Pour le moment, il ne génère qu'une faible énergie grâce à la température interne de son porteur ; mais déjà assez pour alimenter un petit appareil électronique, tel qu’une montre ou un bracelet connecté. Dans le futur, nous pourrions ainsi être capables de (re)charger nos smartphones ou nos montres connectées en utilisant la chaleur de notre corps. Mais il nous faudra être patients : les scientifiques à l’origine du TEG pensent que leur invention ne devrait être commercialisée que d'ici 5 à 10 ans.
4. L’IA sera (ou pas) vraiment intelligente
En 2021, nous sommes par contre très loin de voir naître un jour une IA réellement intelligente ; intelligente au point de nous supplanter comme dans Matrix.
Certes, Facebook, Microsoft et Google font sans cesse des progrès en matière d’IA. Celles de DeepMind, filiale d’Alphabet, sont devenues célèbres pour leur capacité à maîtriser des jeux complexes comme les échecs, le shogi et le Go, où elles ont fini par dominer les meilleurs joueurs humains avec des techniques avancées d'apprentissage automatique. L’une d’elle est même devenue la meilleure à Starcraft. Et Hanson Robotics se targue d’avoir créé un robot humanoïde plus vrai que nature, Sophia, capable de mimer les émotions du visage, et d’interagir avec les humains.
Pour Elon Musk, “avec l'intelligence artificielle, nous invoquons un démon”, car elle est “potentiellement plus dangereuse que les armes nucléaires”. Mais dans les faits, nous sommes encore à mille lieues d’une IA “forte”, c’est-à-dire réellement intelligente ; en opposition à l’IA “faible” que nous utilisons tous les jours, et qui ne repose que sur des algorithmes que nous concevons nous-mêmes.
Pour Jean-Gabriel Ganascia, chercheur au LIP6, le Laboratoire d'informatique de Paris 6, l’intelligence artificielle et les robots doués d’intelligence et d’émotions ne “restent qu’une chimère”. Il existe certes des IA capables de prédire des catastrophes naturelles ou des maladies. Mais comme le soulignent les experts, il ne s’agit pas d’une vraie intelligence. La victoire des programmes de Deep Mind au jeu de go ou aux échecs “impressionne, mais ces programmes bénéficient surtout d’une grande puissance de calcul. Ils ne sont pas intelligents”, lance Jean-Noël Lafargue, expert en histoire des technologies. Ainsi, “ils ne savent pas qu’ils ont gagné, ni qu’ils jouent au go ou aux échecs”.
Chercheur à l’Inria à Nancy, Jean-Baptiste Mouret ajoute : “tout ce qu’on sait faire pour l’instant avec le deep learning, c’est reconnaître des visages sur une photo. On est très loin de comprendre comment il serait possible de concevoir un ordinateur conscient.” D’après le scientifique, “les machines ont l'intelligence d'un cafard. Et elles comprennent moins bien le monde qui les entoure qu’un enfant de 3 ans. Il leur manque le sens commun, cette expérience qui leur permettrait de comprendre des choses évidentes pour nous... que nous devons encoder chez elles”.
Quand au robot Sophia de Hanson Robotics, il ne s’agit que d’un programme, conçu par des humains, et ce qu’elle dit n’est en réalité qu’un script. Désolé de casser vos illusions. Ce n’est pas demain que l’IA sonnera la fin de l’humanité. Ou sera juste “intelligente”. Il faudra encore patienter un certain temps.
Hod Lipson, ingénieur en robotique et directeur du Creative Machines Lab de l’Université Cornell, à New-York, explique au magazine Fast Company que “l'I.A. devrait sûrement finir par dépasser les capacités humaines dans presque tous les domaines de la vie… mais probablement au siècle prochain”. Si ce n'est au millénaire prochain ?
5. Nous mangerons des "super-aliments" artificiels
En 1999, Matrix nous montrait un avenir post-apocalyptique où les humains qui résistent aux machines, comme Néo, mangent une espèce de mélasse qui contient “tout ce dont le corps a besoin.” Concrètement, une protéine unicellulaire, combinée à des acides aminés, des vitamines et des minéraux synthétiques.
Cette bouillie, infâme mais a priori bonne pour la santé, remplace évidemment tout autre aliment puisque dans le monde réel de Matrix, tous les animaux ont disparu (le soleil ayant été, on y reviendra, “bloqué“). Et chez nous, en 2021 ? Elle ressemble quand même fortement aux boissons vendues depuis 5 ans comme substituts de repas, tels que Soylent, Jimmy Joy et Feed. Des sortes de smoothies aromatisés à la banane, au chocolat, ou encore aux fruits rouges, mais dont le goût n'est pas le plus important : leur objectif est de fournir à ceux qui les boivent tout l'apport nutritionnel dont ils ont besoin.
Ces "super-aliments" sont composés d’un cocktail de nutriments, bons pour notre santé, capables de décupler notre énergie, tout en évitant de nous faire grossir. Il existe la même chose sous forme de barres chocolatées, comme dans le film de SF “Soylent”, sorti en 1973. Ces produits, présentés comme la nourriture du futur, font déjà le bonheur des travailleurs urbains pressés et des sportifs.
Pour le créateur du Soylent (la vraie boisson, pas le film), l’ancien informaticien Rob Rhinehart, cette “boisson du futur” pourrait être un substitut alimentaire de premier choix dans les pays du Sud, mais aussi dans les cuisines de “ceux qui ont peu de temps et qui n’ont pas le temps de réfléchir à ce qu’ils vont manger”.
Ils pourraient aussi à terme représenter une alternative à la viande, dans un monde où il y a trop d'êtres humains et d'animaux d'élevage pour une planète dont les êtres vivants sont menacés par le réchauffement climatique. C'est dans cette même optique que se multiplient les steaks végétaux comme ceux de Beyond Meats, mais aussi la viande artificielle. A San Leandro, Memphis Meats cultive ainsi de la viande de poulet en laboratoire, à partir de cellules souches. “Notre agriculture actuelle détruit notre santé, l’environnement et les animaux. Nous sommes désormais capables de produire de la viande meilleure pour la santé, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre”, assure Uma Valeti, CEO de l'entreprise.
6. Nous pourrons éteindre le soleil
Dans Matrix, une guerre a éclaté au début du 21e siècle, entre l'humanité et les intelligences artificielles. Et c'est après que les humains aient bloqué l'accès des machines à l'énergie solaire en “assombrissant le ciel”, que les IA ont décidé de nous “cultiver” afin de récolter notre énergie bioélectrique ; tout en gardant nos esprits "apaisés" dans la matrice.
Assombrir le ciel, un fantasme ? Dans Matrix, les humains ont “couvert” le soleil pour lutter contre les machines. Dans notre réalité, en 2021, cette prédiction est sur le point de se concrétiser. Mais dans un autre but.
Pour lutter contre le réchauffement de la planète, des scientifiques de Harvard ont ainsi eu l'idée de “bloquer” les rayons du soleil. Financé en partie par Bill Gates, le projet SCoPEx ("Expérience de perturbation stratosphérique contrôlée") a pour objectif de vaporiser dans la stratosphère un gaz capable de bloquer une partie du rayonnement solaire, afin que la planète se réchauffe moins. D'autres ont comme projet d'installer dans l'espace, en orbite autour de la Terre, des "miroirs géants" qui agiraient sur les rayons du soleil dans le même but.
En juin 2021, le projet SCoPEx a déjà fait voler un ballon contenant 2 kilos de carbonate de calcium, qu'il a pulvérisé dans la stratosphère à des fins d'expérimentations. Car le risque pour l'environnement existe. En outre, un tel procédé nécessiterait une coordination internationale importante.En effet, se poserait évidemment la question de la gouvernance : qui prendrait la décision d’envoyer un tel gaz dans la stratosphère, et que se passerait-il si les choses tournaient mal ? Imaginez notamment que cette technologie de géo-ingénierie solaire soit utilisée à des fins militaires… On serait dès lors assez proches du scénario du premier Matrix. Mais sans les IA.
Et dans 20 ans ?
Que nous racontera donc le 4e Matrix, qui sort ce 21 décembre au cinéma ? Quelles prédictions pour les 20 prochaines années ? Plus besoin de nous mettre en garde contre le réchauffement climatique, ou encore les pandémies : ces problématiques sont notre lot quotidien désormais.
Quant à l'IA forte, si lointaine… Peut-être que dans un monde où nous nous inquiétons pour nos métiers, menacés par les robots, la mission de ce film pourrait être de nous redonner espoir, en nous montrant plutôt (à la fin) un futur où il serait possible de vivre en harmonie avec des machines moins “intelligentes”. Plutôt que de leur faire la guerre. Qui sait.
Samsung Galaxy S22, Uncharted et pl...
Tesla : on peut maintenant profiter...
EM – Diffusion en direct de Butler...
Nantes. Un enfant victime d’un acci...