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Actualité Éric Piolle : “Je plaide pour des collectivités qui passent à l’âge adulte”

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Actualité Éric Piolle : “Je plaide pour des collectivités qui passent à l’âge adulte”
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Cela a-t-il encore du sens d’opposer écologie et économie au niveau local ?

Tout dépend de la façon dont on définit ces termes. L’économie au sens de productivisme, la création effrénée de biens et de services polluants, n’est pas compatible avec l’écologie. Toutefois, l’économie peut être vue comme génératrice de bien-être, d’amélioration de la qualité de vie pour tous et toutes. Les 3 principaux postes de dépenses des ménages, le logement, l’alimentation, les déplacements, sont les 3 principaux leviers à actionner pour limiter notre impact climatique. Avec à chaque fois des emplois à créer pour transformer nos problèmes en emplois, dans la rénovation thermique, dans l’agriculture bio et locale, dans les mobilités actives. En plus d’être le premier lieu de socialisation pour la majorité des gens, on observe de plus en plus une quête de sens au travail, qui touche toutes les générations, et particulièrement les jeunes. Travailler pour améliorer le quotidien des autres et pour préparer demain en préservant le climat. L’économie doit s’adapter à l’écologie et non l’inverse, elle doit prendre en compte la taille des enjeux qui lui sont liés et contribuer à trouver des solutions.

La smart city est-elle une solution face au défi climatique ou un problème ?

Toute technologie est au service d’une inspiration. Elle est aujourd’hui trop souvent au service du profit et du technoscientisme, et pas assez vue comme un des outils qui met en œuvre le changement culturel. Or croire que le tout technologique répondra aux défis qui nous font face est irréaliste et même dangereux. Suréquiper nos villes de technologies, de capteurs et de caméras pourrait éventuellement permettre de résoudre certaines problématiques ponctuelles et à court terme, par exemple en fluidifiant le trafic automobile, mais en parallèle en poserait de nouvelles avec des effets de bord majeur : consommation de matières premières, dépendance aux technologies, surveillance généralisée, sans oublier les enjeux éthiques que cela engendre. Il nous faut aller vers plus de sobriété. Ce qui est totalement compatible avec les notions de plaisir, de fierté. Redonner la place aux mobilités douces, aux voies piétonnes, à la végétation, à la biodiversité, etc., permet non seulement de créer des villes où il fait bon vivre et circuler, mais également de lutter concrètement contre le réchauffement climatique. Et donc faire le maximum pour assurer un avenir aux générations qui arrivent.

Quels sont les moyens d’action du bloc communal face au dérèglement climatique ?

Les communes et communautés de communes disposent de moyens d’action concrets pour changer la vie des gens, dans le cadre de leurs compétences. À Grenoble, nous expérimentons et sommes précurseurs sur de nombreux domaines : de la végétalisation des repas dans les cantines à la rénovation systématique des bâtiments publics en passant par la création des « places aux enfants » (espaces piétonnisés devant chaque école). Nous avons repris le contrôle sur la gestion de l’eau, de l’électricité et du chauffage. Ce sont des biens communs. Nous impulsons le changement au sein de la Métropole avec les Chronovélos, pistes cyclables sécurisées sur les principaux axes de circulation développées depuis 2017, la réduction des tarifs des transports en commun, l’augmentation de leur fréquence et des endroits desservis… Les territoires sont agiles, notre position de proximité avec les gens nous permet de mieux expliquer et faire comprendre les enjeux. La majorité de la population y adhère d’ailleurs, comme le montre notre large réélection l’année dernière. Mais nous restons tout de même globalement peu libres de nos mouvements, avec un État qui nous impose des tutelles, et nous aide au coup par coup sur quelques projets. Je plaide pour des collectivités qui passent à l’âge adulte, avec un droit à l’expérimentation, des finances guidées par un Green new deal pour renforcer les investissements de long terme. Tout cela avec un État stratège et non plus tuteur lointain.

En janvier dernier l’Agence européenne pour l’environnement a publié une note appelant à une « croissance sans croissance économique » (« Growth without economic growth »). Comment cela peut-il se traduire concrètement au niveau local ?

Actualité Éric Piolle : “Je plaide pour des collectivités qui passent à l’âge adulte”

Je pense qu’il faut en finir avec cette religion de la croissance. Pour commencer, les indicateurs utilisés à l’heure actuelle ne sont plus adaptés. La croissance économique est calculée grâce au PIB. Avec la dégradation de l’environnement et les inégalités sociales qui augmentent, on se rend compte qu’une augmentation du PIB n’est pas synonyme d’amélioration de la qualité de vie ou du bien-être pour de nombreuses personnes, sans compter la pollution générée. La question que l’on doit se poser n’est donc pas est-ce que le PIB augmente, mais est-ce que la population vit correctement, a-t-elle les moyens de s’épanouir dans sa vie personnelle et professionnelle, a-t-elle le temps d’avoir des loisirs ? Etc. Oui à la croissance du bien-être des humains et de la biodiversité. Non à la croissance qui se base sur la valeur ajoutée de Total ou McDo.

Coopérative citoyennes sur l’énergie, Repair café, Fablab, boutiques de seconde main, fermes productives… À l’échelle locale, on observe de plus en plus d’initiatives citoyennes pour inventer des espaces de partage, de réparation, de réemploi. Il y a beaucoup d’enthousiasme et d’énergie des habitant-es. Avec des dispositifs comme par exemple les budgets participatifs, depuis 2016 à Grenoble, le pop-up République (boutique éphémère à destination de l’économie sociale et solidaire) ou encore la Machinerie, en plein cœur de la Villeneuve, les villes peuvent soutenir ces initiatives.

La loi climat et résilience qui vient d’être adoptée va-t-elle dans le bon sens ? Quels sont les moyens nouveaux qu’elle donne aux communes/intercommunalités pour allier transition écologique et développement économique ?

La loi climat et résilience est à l’image des mesures prises pour l’écologie ces dernières années : largement insuffisante. Elle continue de protéger les responsables de la pollution. L’application en loi du travail de la Conférence citoyenne climat aurait dû représenter un tournant dans la prise en compte des enjeux climatiques. C’était une opportunité historique. Au lieu de cela, on se retrouve avec un texte édulcoré, qui permet aux multinationales, aux publicitaires, aux vendeurs de SUV, de perpétuer un monde autodestructeur, dans lequel on ne se retrouve plus. L’opportunité de prendre enfin un virage courageux et historique s’est présentée. Il aurait pu être basé et légitimé par l’extraordinaire travail de la convention citoyenne. C’est une occasion ratée qui fera date dans l’histoire de France.

La politique des petits pas ne sera jamais à la hauteur des défis qui nous font face. Nous avons besoin que nos politiques publiques soient ambitieuses et innovantes, à toutes les échelles du territoire. Car la procrastination se paie cher : à l’origine, nous devions baisser nos émissions de GES de 3 % par an en commençant en 2010, on doit désormais les baisser de 7 % par an. Il nous faut prendre confiance en menant des actions à la hauteur des enjeux plutôt que repousser le grand changement.

On passe progressivement du climato-scepticisme au climato-cynisme. Est-ce un progrès ?

Plusieurs options se présentent à nous pour faire face à la réalité du dérèglement climatique et l’impact de ses conséquences. On peut nier le problème ou l’ignorer, sans modifier nos habitudes, sans chercher à s’informer et en s’épargnant toute culpabilité liée à la remise en question du système sur lequel repose la société. On peut aussi se convaincre que des solutions émergeront sans nous, grâce à la technologie par exemple. Ou alors, on peut être lucide sur la réalité, s’informer, dépasser la peur, et passer à l’action. Remettre en question notre éducation, nos habitudes. Et quelle plus belle cause que la préservation de notre maison à tous et toutes ? Devant la réalité qui nous rattrape, le cynisme est une manière de plus de ne pas agir. Après la prise de conscience, c’est de courage et d’espoir dont nous avons besoin.

Sur de tels sujets l’approche top-bottom (du haut vers le bas) a-t-elle encore du sens ?

Pour faire de la France la Nation pionnière des transitions, les changements ne se piloteront pas depuis un bunker sous l’Élysée, ils s’impulseront partout dans le pays. Pour allier justice sociale et justice environnementale, il nous faut prendre en compte l’expérience de tout le monde. De l’agriculteur au scientifique, du chef d’entreprise à l’ouvrier.

Faut-il moins de décentralisation ou plus de décentralisation face au dérèglement climatique ? Quelle serait la réforme idéale selon vous ?

Évidemment plus, beaucoup plus. Le changement se fera dans les territoires, par les citoyens. Guidé par le dogme croissantiste, lent et déconnecté de la population, gangrené par les lobbys depuis des décennies, l’État devient un frein aux transitions. On l’a vu avec la convention citoyenne, le plan Borloo jeté à la poubelle ou à travers les multiples mégaprojets inutiles et imposés qu’il défend pied à pied. L’État doit fixer un cap et ensuite coordonner, appuyer l’action des territoires, sans les brider. Nous devons redonner de la place aux collectivités locales et permettre aux collectivités d’investir largement dans les transitions. C’est le Green New Deal que je propose depuis maintenant près de 10 ans. Il nous faut une compatibilité publique différente pour les investissements vertueux, de long terme réalisés par les collectivités et sortir de l’encadrement du taux d’endettement des collectivités par l’État.

Propos recueillis par Fabien Bottini, consultant qualifié aux fonctions de Professeur des Universités