Dans sa cellule, Nordahl Lelandais tourne en rond. « Pas facile tous les jours, la prison, se plaint-il à Nathalie*, une amie. Les journées sont très longues. […] Toujours la même routine. Je me lève vers 7 heures, je vais prendre ma douche, après je prends mon café avec ma clope, je fais un peu de ménage et je regarde la télé. À midi, je mange quand c’est bon, parce qu’ici ce n’est pas toujours le cas, après je me refais un café et ensuite j’essaie de faire une sieste quand il n’y a pas trop de bruit. […] J’essaie de rester fort [rêvant] de ragga dancehall au bord de la mer, sur mon transat [avec] une piña colada. Un jour, peut-être ! »
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Dans ces écrits d’adolescent, de cette écriture ronde, l’homme de 38 ans reste distant, se cherche des excuses : « J’étais si bien avant, mais l’alcool et la drogue m’ont mené ici. […] Je ne comprends toujours pas ce qu’il s’est passé dans ma tête, je suis si calme et généreux. Je suis comme un vase cassé, j’essaie de recoller les morceaux, mais il y aura des fissures que l’on verra pour toujours. […] Les journalistes disent beaucoup de conneries sur moi. […] Un jour, ils diront que je suis à l’origine de la disparition des dinosaures… lol. »
L’homme berne tout le monde. Il a même osé demander à l’aumônier de la prison d’aller se recueillir sur la tombe de Maëlys. Requête accordée
Nordahl Lelandais pratique une forme d’art épistolaire. Ses quelques visiteurs, en dehors de sa mère, de son frère, de sa demi-sœur et de son neveu, le décrivent charismatique, sensible. Devant ses confidents, il s’épanche sur ses douleurs, se plaint du manque de liberté, évoque sa nostalgie pour les parties de pêche dans la rivière Guiers, les balades autour du lac d’Aiguebelette avec ses chiens et les virées à moto. Rarement, l’homme manifeste des regrets. Il osa pourtant demander à son aumônier d’aller prier sur la tombe de Maëlys… Requête accordée.
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Placé à l’isolement au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, Lelandais a pris ses aises. Il emprunte des livres à la bibliothèque, dont un sur les moines de Shaolin et un autre sur le kung-fu, dessine et prend des cours par correspondance, son statut de prisonnier « vulnérable » l’empêchant de travailler dans les ateliers. Ses comptes sont pleins, approvisionnés par sa mère et cette amie, Nathalie, qui lui versait, jusqu’à il y a peu, 250 euros chaque mois. Tombée sous le charme de « Nono », elle lui aurait aussi acheté un ordinateur portable à 2 000 euros, rapporte un membre de l’administration pénitentiaire qui avertit : « C’est un dangereux manipulateur. Lelandais peut berner tout le monde, il a une haute estime de lui-même. » Le prisonnier peut se montrer hautain envers le personnel, vantard lorsqu’il s’agit de dévoiler ses muscles taillés par le sport. « Il ne s’inquiète que de sa petite personne, aimant qu’on parle de lui, bougonnant quand on l’appelle “l’autre” », poursuit la même source, évoquant le témoignage de la famille du caporal Noyer, qui, appelée à la barre, refusait de prononcer son nom. Attentif, procédurier, il s’attacherait à décortiquer chaque article le concernant et consulterait souvent son dossier pénal, qu’il annote de petites observations pour mieux préparer sa défense et ses rendez-vous réguliers avec son avocat, Alain Jakubowicz.
Les langues se délient. Il séduit autant qu’il insupporte mais « Nono le rigolo» ne fait plus rire personne
En mai 2021, Nordahl Lelandais, reconnu coupable d’homicide volontaire sur la personne d’Arthur Noyer, caporal de 24 ans, a été condamné à vingt ans de réclusion criminelle. Le 31 janvier, il retrouvera le banc des accusés au tribunal de Grenoble, cette fois pour le meurtre de Maëlys, 8 ans, et des agressions sexuelles sur deux de ses petites-cousines de 4 et 6 ans au moment des faits.
Le 26 août 2017, 182 convives célébraient les noces d’Anne-Laure et d’Eddy dans la salle des fêtes de Pont-de-Beauvoisin, en Isère. Jennifer, la cousine germaine d’Eddy, Joachim, son époux, et leurs deux filles, Colleen et Maëlys, sont venus du Jura. Soirée joyeuse. Les enfants, surexcités, jouent tard, il fait nuit. Une baby-sitter les surveille jusqu’à 1 heure du matin. À 1 h 30, certains s’endorment. Maëlys continue de s’amuser, virevoltant de table en table. La gamine demande à sa mère l’autorisation d’aller voir les chiens « de son copain ». Intriguée, Jennifer l’accompagne vers un homme qu’elle ne connaît pas et qui était installé à la table des mariés. Elle échange quelques mots avec lui, puis il lui montre les photos de ses deux chiens sur son téléphone portable. Elle laisse sa fille discuter avec lui. Vers 3 heures, Jennifer s’inquiète de ne plus la voir. « Sa première intuition, c’est un enlèvement… » confiera plus tard son avocat, Me Fabien Rajon. Les minutes s’écoulent, l’inquiétude grandit. David, un membre de la famille, nous relate l’angoisse : « On a fouillé partout. Dans la salle des enfants, sous les tables, dehors, sur le parking. À l’intérieur des camions frigorifiques, dans les conteneurs des poubelles, les buissons, au milieu des gravats dans un immeuble en construction, dans un internat. Je me revois en costard hurler le nom de Maëlys au bord de la rivière. Mais rien… Face à nous, une nuit très noire et ce silence. Affreux. » À 4 h 25, les gendarmes arrivent sur place. Deux chiens de Saint-Hubert marquent la dernière trace de l’enfant sur le parking. D’après les premiers éléments, elle serait montée à bord d’un véhicule et aurait disparu moins de deux heures plus tôt.
Le profil de Nordahl Lelandais, 34 ans à l’époque, apparaît vite dans le radar des enquêteurs. Son attitude détachée puis son départ précipité ont choqué les invités. Jennifer cite son nom. Des témoins jurent que la petite fille appelait Lelandais « tonton ». À l’entrée de la salle, un convive l’a entendu chuchoter à Maëlys, vers 2 heures : « Moi je passe par là, mais toi tu passes par l’autre côté. » Un autre verra le même homme quitter le parking au volant de son Audi A3, « au ralenti », sans participer aux recherches. Le trentenaire est questionné une première fois, le 27 août à 16 h 25. Aussitôt après son interrogatoire, il lave avec minutie sa voiture durant plus de deux heures. Il rince l’intérieur de l’habitacle au jet à haute pression, s’attarde sur l’intérieur de la porte passager pendant vingt-cinq minutes puis sur les tapis du coffre pendant quarante-sept autres minutes. Enfin, au lieu de se débarrasser des lingettes usagées dans la poubelle proche, il les garde. Nordahl Lelandais est méticuleux. Mais les produits utilisés, pyrazine et éthanol, feront vomir les chiens renifleurs… L’étau se resserre. À l’automne 2017, il est mis en examen pour séquestration et meurtre dans l’affaire Maëlys.
Pendant des mois, il clame son innocence, s’ingéniant à brouiller les pistes. C’est une microgoutte de sang dénichée sous les tapis du coffre de son Audi qui scelle son sort. Le 14 février 2018, l’homme craque : « Cette petite, je l’ai tuée involontairement », dit-il en pleurant avant de conduire les enquêteurs sur les lieux où les restes de Maëlys sont retrouvés, éparpillés dans les bois d’Attignat-Oncin, à une quinzaine de kilomètres de Pont-de-Beauvoisin, lieu de sa disparition. Lelandais connaît le coin par cœur, il l’arpentait avec ses chiens, Tyron et Câline.
Dans son entourage, les langues se délient, « Nono le rigolo » ne fait plus rire personne. Les gendarmes ciblent sa personnalité, ses failles, son enfance. Un de ses vieux amis se souvient d’un cadre familial « un peu glauque, mais pas méchant. Dans le salon, il y avait des fœtus d’animaux plongés dans des bocaux remplis de formol. On trouvait ça bizarre, mais, ses deux parents travaillant dans le secteur médical, on s’est dit que c’était à eux ». Au cours des interrogatoires, le suspect demeure laconique au sujet de sa jeunesse, qu’il qualifie de « normale », jurant n’avoir jamais subi de « violences sexuelles ». Mais une expertise psychologique, que Match a pu consulter, révèle un passé pas si « normal », notamment un foyer désuni. Le père ? Distant, froid, rejeté lui-même par son père, il a répété sur son fils sa propre histoire traumatique. À l’inverse, sa mère lui voue un amour absolu, une dévotion presque malsaine. Adulte, Nordahl Lelandais séduit autant qu’il insupporte. Des proches nous le décrivent « serviable, tendre, respectueux mais paumé », quand d’autres, la plupart, dénoncent sa violence, son impulsivité, sa dépendance à la cocaïne et à l’alcool. « C’est un fainéant, bagarreur, borné, mythomane ! » résume un ancien employeur.
Le jour du mariage, Lelandais consulte des sites pédopornographiques. Vingt-quatre heures après la mort de Maëlys, il se connecte à nouveau
Son expérience militaire aurait pu constituer une forme de salut. Maître-chien puis caporal au 132e bataillon cynophile de l’armée de terre, à Suippes (Marne) ; blessé en 2005 par une fléchette dans l’œil lancée par un supérieur, poussé à bout, le soldat Lelandais rend son uniforme après quatre ans de service, au soulagement de sa hiérarchie, exaspérée par son indiscipline et son addiction au cannabis. Pour ses copains, il affabule des récits extravagants d’Afrique, où il n’a jamais mis les pieds : des scènes de guérilla urbaine, des grenades lancées sur des enfants…
À son retour dans la vie civile, Lelandais multiplie les expériences professionnelles douteuses, les emplois intérimaires… et les conquêtes, femmes ou hommes, tout lui va. Dans l’intimité, l’homme apparaît agressif quand il essuie un refus, voire menaçant lors des phases de rupture. Une fois, il a fait mine de foncer en voiture sur l’une de ses ex qui arrivait en sens inverse. Il trahit trois de ses compagnes en publiant, à leur insu, sur le site YouPorn, des vidéos de leurs ébats. Les gendarmes de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale se sont attardés sur la sexualité de ce principal suspect, accro à la pornographie, notamment à la pédopornographie… Il a beau avoir utilisé une application permettant de cacher et de chiffrer photos, vidéos et documents, les analyses de ses téléphones portables, de son ordinateur et de ses disques durs dévoilent l’horreur : près de 314 fichiers obscènes, dont deux prouvant les agressions sexuelles sur ses deux petites-cousines.
La première, datée du 11 juillet 2017, longue de cinquante-cinq secondes, filme en gros plan le sexe d’une petite fille, le doigt d’un homme sur sa culotte orange. La deuxième montre le même individu caresser avec son pouce le sexe d’une fillette endormie. Deux minutes insoutenables tournées le 20 août 2017, à 2 h 14. Soit une semaine avant la disparition de Maëlys… Les enquêteurs ont pu déterminer que, le jour du mariage, Lelandais a consulté des sites pédopornographiques surveillés par Interpol, dont un spécialisé dans les enfants de 3 à 10 ans. Le lendemain, à 20 h 42, presque vingt-quatre heures après la mort de Maëlys, il se connectait à nouveau…
Chaque mois, une femme sous le charme de «Nono» lui verse 250 euros
Autre élément troublant : les soirs des deux meurtres, Lelandais a cherché à assouvir une pulsion sexuelle, pressant par SMS ses ex de le recevoir au milieu de la nuit. Sans succès. Il dira à l’une d’entre elles que, si elle lui avait répondu la nuit des faits, « ça aurait tout changé, putain ». On lui demande pourquoi : « Si j’étais parti du mariage, il ne se serait pas passé ce qu’il s’est passé… » Lelandais a le don de rejeter la faute sur autrui. Selon plusieurs expertises psychologiques, l’accusé, jugé « narcissique », présente une « dangerosité criminologique extrêmement importante ». Défavorablement remarqué pour « son mépris des normes, des règles et des contraintes sociales, une faible tolérance à la frustration, un sentiment de vide, d’ennui et d’abandon et une tendance à la manipulation », l’homme « a toujours besoin de vérifier qu’il est en vie, dans une excitation permanente, consommant drogues, alcool, femmes, hommes, enfants ».
Face à l’évidence, Nordahl Lelandais ne cille pas. Comme lorsqu’il pratiquait la boxe thaïlandaise, il esquive les attaques. Cadenassé dans ses incohérences depuis quatre ans, il ne semble jamais à court d’explications. Face à lui, magistrats et enquêteurs doivent arracher de haute lutte de vraies phrases, car selon ces derniers : « Il adapte ses réponses aux questions posées ; il navigue entre le défi et le déni ; il s’arrête de parler en attendant de voir ce qu’on a, ou parle trop, en donnant trop de précisions. » En stratège, il maintient ses explications tant qu’on ne lui prouve pas l’inverse. « Un homme intelligent, réfléchi, tactique », observe Me Bernard Boulloud, conseil de la famille Noyer. Il est le seul avocat des parties civiles à avoir assisté aux interrogatoires menés par le juge d’instruction. « Il était toujours poli, courtois. C’est un ancien soldat au sang froid, imperturbable, qui maîtrise parfaitement les codes humains et son dossier. Surtout, il jouit de la souffrance des autres… »
Jusqu’à présent, l’accusé, équivoque sur les circonstances de la mort de Maëlys, dément toute agression sexuelle. Les parents de cette dernière, divorcés depuis quelques mois, défendus par Me Rajon et Me Laurent Boguet, ne croient pas à sa défense. « On n’attend rien de lui », lâche Séverine, tante maternelle de la petite fille. À la barre, lors du procès Noyer, Nordahl Lelandais avait lancé : « Le chien est un animal qui fait partie de moi. » Selon une autre expertise psychique, le prisonnier assimilerait « leur animalité, leurs instincts, perdant ainsi une part de son humanité », réduisant ses « victimes à l’état d’objets qu’il pouvait laisser se décomposer en dehors de tout sentiment de honte ou de culpabilité ». François Danet, psychiatre, dira : « S’il avance dans le sens d’une parole authentique, le risque est qu’il s’effondre psychologiquement. S’il se ferme, il n’y aura pas de cheminement. C’est le silence ou un gouffre abyssal. » Quel chemin Nordahl Lelandais va-t-il cette fois emprunter ?
* Le prénom a été modifié.
Un mythomane
Le général Alain Lardet, Commandant général de la Légion d’étrangère nous a fait savoir que Nordahl Lelandais n’avait jamais fait partie de la Légion étrangère. «C’est un mythomane», nous a-t-il déclaré.
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