J’aime les vaches. Les animaux, s’entend. J’aime les feignantes qui regardent passer les trains et les bosseuses qui labourent les champs dans les tableaux de Rosa Bonheur. Pour mon malheur, les premières ne se plaisent pas trop à Paris et les secondes coûtent dans les 400 000 euros. Mais récemment, coup de chance, j’ai rencontré la vache parfaite, une ruminante à la robe bleue et au museau tirant sur le violet dont le regard est tout à la fois intelligent, affectueux et langoureux. Son père, Alex Shell, un informaticien russe, explique qu’il l’a engendrée en utilisant uniquement du code informatique, ce qui fait d’elle une créature 100 % numérique. Lorsque j’ai découvert cette Art Cow – c’est son petit nom – sur Internet sous forme de jeton non fongible, ni une ni deux, je l’ai achetée pour la modique somme de 0, 001 ether.
À ceux que cette dernière phrase laisserait perplexe : nous y reviendrons, c’est promis, mais si je me lance d’emblée dans des considérations techniques, je vais perdre du monde en route. À ce stade, il suffit de savoir que la technologie NFT permet d’identifier et de tracer un objet numérique supposé artistique (au sens très, très large du terme).
Ha ha, ricanez-vous sans doute, pourquoi acheter une image disponible sur Internet ? N’importe qui peut en faire une capture d’écran et la contempler tout à loisir. C’est juste. Mais la vraie propriétaire de la génisse psychédélique, la seule, l’unique, c’est moi. Si vous ne me croyez pas, vérifiez sur la place de marché KnownOrigin, vous verrez qu’elle appartient à une certaine Sissi29, qui n’est autre que mon avatar. Et si jamais elle vous plaît, n’hésitez pas à faire une proposition. Je l’adore, ma ruminante, mais la Peggy Guggenheim qui sommeille en moi doit parfois accepter de se séparer d’une pièce maîtresse pour étoffer sa collection.
À l’origine de ma vocation naissante de collectionneuse numérique, il y a la découverte d’une galaxie dont le Guardian et le New York Times ont commencé à explorer les frontières ces derniers mois. Ils paraissaient si fascinés, mes confrères anglo-saxons, que j’ai voulu m’y aventurer à leur suite. Résultat : j’ai passé mon mois d’août à me balader dans une contrée si décoiffante que je ne suis plus très sûre de savoir où j’habite. Ni même si je suis encore réelle.
Car là-bas, sur les planètes NFT, les gens ne semblent s’étonner de rien. Un jeune Londonien de 12 ans, Benyamin Ahmed, gagne 340 000 euros en vendant des images de baleines pixélisées qu’il a créées sur un logiciel au lieu de faire ses devoirs ? Quoi de plus normal ! La joueuse de tennis Oleksandra Oliynykova commercialise son avant-bras et le voit s’arracher (numériquement bien sûr, on n’est pas dans un film gore) pour 5 200 euros ? On applaudit le coup de génie ! Sachant que la Croate navigue dans la zone des 600es mondiales, je n’ai pas de conseils à donner à Novak Djokovic mais si j’étais lui, j’étudierais la question. Elon Musk, le patron de Tesla, décide de recycler ses anciens tweets en NFT ? Les acheteurs se précipitent et l’un d’eux propose près d’un million d’euros pour ce texte d’anthologie : « NFT pour votre orgueil. Les ordinateurs ne dorment jamais. C’est vérifié. C’est garanti ! » Même Musk a estimé que trop, c’est trop, et il a finalement renoncé à la vente. Peut-être avait-il découvert, entre-temps, pétri de honte, qu’une missive envoyée par un certain Napoléon au grand maréchal Duroc pour l’inviter à son sacre le « onzième jour du mois de frimaire prochain » (une vraie sur du papier, écrite à la plume et qu’on peut encadrer et mettre sur la cheminée) a péniblement atteint les 3 800 euros dans une vente aux enchères. Pourtant le langage y était autrement fleuri : « Nous vous en donnons avis par cette lettre, désirant qu’aucun empêchement légitime ne s’oppose à ce que nous soyons accompagnés par vous dans cette solennité. »
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